Corneliu Bjola est professeur associé d’Études diplomatiques à l’Université d’Oxford. Il revient sur l’arrivée en force d’un parti extrémiste sur la scène politique roumaine, et sur les relations que Bucarest entretient avec Washington et Chişinău…
L’arrivée au parlement d’une formation nationaliste comme l’Alliance pour l’Union des Roumains (AUR) suite aux élections législatives de début décembre vous inquiète-t-elle ? À terme, existe-t-il un risque que la Roumanie suive la voie de pays tels que la Hongrie ou la Pologne ?
Dans l’éventail politique, une place était restée vacante pour l’extrême droite depuis la mort de l’ancien leader du Parti România Mare, Corneliu Vadim Tudor – décédé en 2015, ndlr. J’étais depuis lors inquiet qu’un nouveau chef politique charismatique puisse apparaître et tente de s’imposer dans ce registre. Plus largement, je pense que l’on doit lier cette émergence au processus d’intégration européenne et regarder ce qu’il s’est passé au cours de la dernière décennie. Si, en 2007, les gens étaient pleins d’espoir dans l’avenir, et heureux d’adhérer à la grande famille européenne, les choses ont commencé à changer en 2012, l’optimisme s’est dégradé, notamment du fait de décisions relevant de la politique intérieure. À mon sens, ce nouveau parti propose une image idéalisée d’une Roumanie qui n’a jamais existé, cela a une résonance chez les électeurs déçus et mécontents de la situation actuelle. Mais il est très facile de critiquer quand vous n’êtes pas au pouvoir. Ceci étant, comme on le voit chez les autres formations populistes en Europe, ce type de parti est souvent sujet à des conflits internes. D’autant qu’AUR a été créée très récemment et n’a jamais été testée.
Certains diplomates européens basés à Bucarest s’interrogent sur le sens du partenariat stratégique intense que la Roumanie entretient avec les États-Unis. Qu’en pensez-vous ?
L’Europe de l’Est a, de manière générale, une certaine sympathie pour les États-Unis. Il y a une forte coopération militaire, sans doute parce que le principal sujet d’inquiétude, la Russie, reste assez prégnant. La relation de la Roumanie avec l’administration Trump a été plutôt positive, malgré l’image de celle-ci en Europe. Avec l’administration Biden, ce rapprochement devrait s’accentuer. Mais ce que l’on pourrait effectivement améliorer concernant la problématique militaire et sécuritaire, c’est la façon dont la Roumanie développe ses partenariats stratégiques avec l’Union européenne et les États-Unis au niveau technologique. L’installation prochaine à Bucarest – en 2021, ndlr – du Centre européen pour la cybersécurité va dans le bon sens. Cela confirme aussi un certain niveau d’expertise de la part de la Roumanie.
Suite à la récente élection de Maia Sandu à la présidence de la République de Moldavie, les pro-russes font pression pour garder le contrôle sur le pays. Êtes-vous confiant quant à un rapprochement de Chişinău vers l’Europe ? Quel rôle Bucarest pourrait-il jouer ?
La relation entre la Roumanie et la Moldavie a connu des hauts et des bas au cours des dix dernières années. Cela est notamment dû au fait que la République de Moldavie reste divisée et ne sait pas dans quelle direction aller. La Roumanie a tenté d’encourager le front pro-occidental, éclaté en petits groupes, à franchir les étapes en vue d’une intégration européenne. L’élection de Maia Sandu est un pas dans la bonne direction. Mais une question demeure : sera-t-elle ou non en mesure de réunir d’autres derrière elle ? Il y a là une bonne opportunité pour la Roumanie de soutenir un partenariat avec Sandu, qui est pro-européenne et une solide démocrate. Mais attention, si nous insistons trop fortement dans ce sens, nos efforts pourraient avoir l’effet inverse de celui espéré et réduire les discussions à néant.
Propos recueillis par Sylvain Moreau.
À noter parmi les ouvrages de Corneliu Bjola :
Digital Diplomacy: Theory and Practice, en collaboration avec Marcus Holmes (éditions Routledge, 2015).
Countering Online Propaganda and Violent Extremism: The Dark Side of Digital Diplomacy, en collaboration avec James Pamment (éditions Routledge, 2018).