Entretien réalisé le jeudi 28 septembre dans la matinée, par courriel et en roumain.
Enseignant-chercheur à la Faculté de philosophie de Bucarest, Constantin Vică se penche sur les nouvelles technologies et leur omniprésence dans notre vie…
Comment définiriez-vous le domaine qui vous préoccupe en particulier, l’éthique de la technologie ?
Ce terme englobe plusieurs directions d’interrogation et de recherche concernant les différentes nouvelles technologies du 21ème siècle. Déjà, le terme « nouveau » peut être remis en question ; à quel moment une technologie n’est-elle plus nouvelle, à quel moment devient-elle un instrument commun, à quel moment rend-elle les pratiques humaines possibles sans que l’on s’en aperçoive ? Les ordinateurs sont-ils encore des nouvelles technologies ? Dans ce cas précis, certainement pas. Et cela non seulement parce qu’ils existent depuis près de cent ans déjà, mais aussi parce qu’ils se sont fondus dans la texture de la vie sociale et professionnelle, et que plus personne ne les considère comme une nouveauté. Internet ? Les différentes technologies qui le rendent possible se renouvellent, certes, mais personne ne le définit plus comme nouveau. Que dire dans le cas de l’intelligence artificielle ? Cela dépend… L’apprentissage automatique a été conceptualisé dans les années 1960, mais les résultats n’en sont devenus visibles que lors de la décennie passée. Quid de la réalité virtuelle ? Les premières recherches datent des années 1970. Quant aux neuro-technologies, elles semblent par contre n’en être qu’à leurs débuts, tout comme les technologies d’édition génomique. Ceci dit, d’un point de vue éthique, on peut à chaque fois, à chaque instant analyser toutes ces technologies et les évaluer sous un nouvel angle. Que l’on parle d’autonomie, de dignité, de sphère privée, de manipulation du comportement, de justice, de discrimination, de coopération, etc., tous ces domaines sont affectés par l’utilisation des nouvelles technologies. Et puisque l’analyse ne saurait se baser sur un seul principe ou un seul bouquet de valeurs morales, le débat est sans fin. Cela ouvre la voie pour nous tous à une réflexion continue sur nos existences placées sous le signe de la technologie.
Que gagne et que perd l’individu, et la société dans son ensemble, par l’omniprésence des smartphones dans la vie quotidienne ?
Je me garderais de faire des évaluations en termes de coûts et de bénéfices, car certains d’entre eux sont non quantifiables et souvent difficiles à mesurer. L’omniprésence des smartphones, de vrais mini-ordinateurs, a changé notre existence. Chacun d’entre nous est maintenant le centre du monde, nous sommes tous surveillés, nous participons tous à des activités de création grâce aux algorithmes, et sommes dépendants des différentes applications et plates-formes. Les pratiques humaines ont changé ; par exemple, nous cherchons, nous ne mémorisons plus. Nous sommes désormais encadrés dans ces dispositifs, eux-mêmes reliés au sein d’un réseau. S’en déconnecter est possible, mais extrêmement difficile. Mais alors comment faire pour recouvrer une autonomie réelle ? Voilà l’un des défis de notre siècle.
L’essor de l’intelligence artificielle (IA, ndlr) vous inquiète-t-il ? Comment peut-on instiller plus de responsabilité dans ce domaine ?
Ce qui m’inquiète, c’est que le développement de l’IA ne soit pas participatif, ni collaboratif, que les systèmes soient opaques et protégés par le secret commercial, et qu’il n’y ait pas de mécanisme de responsabilisation pour les créateurs d’IA. Et au-delà, peut-on déléguer des responsabilités à des processus technologiques non réflexifs, qui ne répondent pas de leurs intentions ? Il me semble tout à fait nécessaire de former les initiateurs d’IA afin qu’ils comprennent et préviennent les problèmes moraux de leur création.
Propos recueillis par Mihaela Rodina.