Entretien réalisé le mercredi 27 septembre en milieu de journée, par téléphone et en roumain.
Dana Voicu est comédienne et professeure d’art dramatique à l’Université nationale d’art théâtral et cinématographique Ion Luca Caragiale de Bucarest. Elle évoque la place que les Roumains continuent à accorder au théâtre dans le contexte d’une société dominée par les activités en ligne…
Comment jugez-vous la situation actuelle pour les représentations théâtrales ? L’État joue-t-il pleinement son rôle de soutien ?
De façon générale, la période actuelle n’est pas la plus propice pour les théâtres, notamment pour ceux qui sont indépendants. L’État roumain ne fait pas de la culture et de l’éducation des priorités. Il ne les soutient guère. Et même lorsqu’il le fait, comme dans le cas des théâtres publics financés par les municipalités, le budget se réduit d’une année sur l’autre, ce qui a un impact négatif sur les tournées, le répertoire et les premières. Il y a deux sessions annuelles d’appels à projets pour accéder à des fonds versés par l’Administration du fonds culturel national (AFCN, ndlr), sauf que ces financements sont limités et insuffisants. Ceci étant, le public roumain continue de se rendre au théâtre. De nombreux spectacles font salle comble, aussi bien dans les théâtres publics que dans les indépendants, ces derniers étant toujours plus nombreux. C’est sans doute la conséquence du peu de places au sein des théâtres publics, alors que dans le même temps, il y a toujours plus de comédiens. Mais il est très difficile voire impossible pour un comédien indépendant de vivre de la scène. La plupart sont obligés de trouver des activités complémentaires dans le cinéma, la publicité, les séries télé ou encore par le biais d’ateliers de dramaturgie.
Quel regard portez-vous sur vos étudiants ?
Comme je le disais, ils sont toujours plus nombreux. J’ai parfois l’impression que la Roumanie est devenue un pays de comédiens… Il y a des castings où 500 personnes se disputent le même rôle. Je note aussi qu’à la différence d’il y a vingt ans, les jeunes qui souhaitent étudier l’art dramatique ne sont pas toujours des passionnés. Certains d’entre eux sont un peu perdus, ils ne sont pas particulièrement attirés par le métier mais veulent simplement continuer leurs études après avoir suivi des cours de théâtre au lycée. Ensuite, ils se retrouvent surpris par les difficultés de la profession ; il faut être solide. Vous savez, pour faire du théâtre, on doit être prêt à explorer les facettes les plus sombres de la vie. Autre chose, tous les étudiants ne sont pas jeunes. Il y en a qui décident de faire du théâtre pour changer de métier et de carrière. Certains souhaitent réaliser leur rêve de jeunesse, un rêve qui fut contrarié par des parents opposés au métier de comédien. Mais pour revenir aux plus jeunes, à la différence des générations antérieures qui restaient fidèles à leur choix, celles d’aujourd’hui se ravisent beaucoup plus facilement. Si le chemin choisi n’est pas le bon, elles changent leur fusil d’épaule sans aucun remord.
Diriez-vous que l’appétence des Roumains pour le théâtre est toujours aussi forte malgré la concurrence des nouvelles formes de distraction en ligne ?
Oui. Et ce même après deux années de pandémie durant lesquelles les salles de spectacle ont été soit fermées, soit obligées de gérer la distanciation sociale. À la différence des plates-formes de streaming ou du cinéma, la scène a l’avantage de rapprocher les gens, elle est vecteur de partage, d’intimité ; les émotions se construisent en temps réel, sous vos yeux, c’est ça qui la rend unique. Et la présence d’autres spectateurs dans la salle contribue à la création d’un sentiment de communauté et de communion. Les théâtres auront toujours leur rôle au sein de la société. Quant aux indépendants, ils ont chacun leur public en fonction de leur positionnement. Certains font du théâtre engagé, des comédies musicales, d’autres sont spécialisés dans le théâtre à portée éducative, etc. Le spectateur qui dispose d’un théâtre dans son quartier s’y rendra au moins une fois pour voir ce qu’il propose.
Propos recueillis par Ioana Maria Stăncescu.