Retour sur la période communiste avec Claudia-Florentina Dobre, docteure en histoire, chercheuse à l’Institut d’histoire Nicolae Iorga, présidente du Centre des études sur la mémoire et les identités (CSMI)…
Quels ont été les pires crimes du régime communiste en Roumanie, de Gheorghe Gheorghiu-Dej* à Nicolae Ceauşescu ?
Tout dépend de la période à laquelle on se réfère. Juste après la Seconde Guerre mondiale, hormis la persécution des fascistes, les choses ont d’abord semblé continuer comme avant. Une première vague de répressions assez intense est intervenue après le départ du roi Michel Ier, en décembre 1947, et elle a duré jusqu’en 1953. Puis, après une période de libéralisation du système, une deuxième vague de répressions s’est mis en place jusqu’en 1961-62. Le régime de Ceauşescu a lui débuté par une période plutôt libérale, dans le sens où il y avait une ouverture vers l’Occident. Mais après 1971, on est entré dans l’étape du national-communisme qui a généré beaucoup de souffrance pour toute la population, avec un rationnement de la nourriture et de l’électricité. Dans les années 1980, presque tout le monde a été persécuté, notamment les femmes avec cette loi de 1966 qui interdisait l’avortement. Environ 10 000 d’entre elles sont mortes à cause d’avortements clandestins.
* Dirigeant communiste de la Roumanie de 1947 jusqu’à sa mort en 1965, quand Nicolae Ceauşescu, son dauphin, prendra la tête du pays.
Comment jugez-vous le travail de mémoire sur cette période ?
Je ne sais pas si l’on peut vraiment parler d’un travail de mémoire, comme il existe par exemple en Occident avec la Shoah. Certes, le discours officiel est anticommuniste, avec tout ce que cela implique, il y a des jours commémoratifs, des monuments, des lois et des institutions comme le Conseil national pour les études des archives de la Securitate (CNSAS, ndlr), mais je me demande si tout cela fait véritablement partie d’un travail de mémoire, ou plutôt d’une idéologie anticommuniste. D’ailleurs, récemment, une loi a été adoptée par le gouvernement et le Parlement pour la création d’un Musée des horreurs du communisme (Muzeul ororilor comunismului, ndlr). Son intitulé indique une certaine vision de cette époque.
La nostalgie pour la période communiste peut-elle être justifiée ?
Je pense que les gens qui manifestent cette nostalgie sont ceux qui ont bénéficié de la modernisation apportée par le communisme, c’est-à-dire les gens qui venaient de familles très pauvres, qui ont pu faire des études, qui ont reçu un appartement, un travail, et qui ont mené une vie plutôt tranquille et très bien organisée par l’État. Ils regrettent ce quotidien stable, c’est en partie ce qui caractérisait le communisme. Par ailleurs, la plupart de ces nostalgiques sont des personnes âgées qui ont vécu leur jeunesse à la fin des années 1960 ou au début des années 1970, ce qui correspond à la période de libéralisation à laquelle je faisais référence. Il y avait une activité culturelle assez florissante à l’époque, des journaux, des films ou des produits occidentaux. C’est cette période-là que les gens regrettent, aussi et surtout parce que c’était celle de leur jeunesse. Nous regrettons tous l’époque de l’enfance et de l’adolescence, en général il s’agit d’une période dorée, même si les conditions peuvent être rudes.
Propos recueillis par Sylvain Moreau.
Dernier ouvrage de Claudia-Florentina Dobre : Ni victime, ni héroïne : les anciennes détenues politiques et les mémoires du communisme en Roumanie, Electra, Bucarest, 2019.