Entretien réalisé le lundi 16 octobre dans la matinée, par téléphone et en roumain.
Carmen Coțofană est danseuse et chorégraphe. Depuis 2007, elle est aussi coordinatrice de projets au Centre national de la danse de Bucarest (CNDB). Elle évoque la place de son art parmi les autres expressions scéniques…
En quoi la danse, notamment la danse contemporaine, peut-elle transmettre des messages ou être vectrice d’expériences sensorielles uniques ?
À la différence d’autres arts vivants, la danse, et notamment la danse contemporaine, permet une grande liberté d’expression. En tant que danseuse et chorégraphe, je pense que l’émotion dégagée durant un spectacle de danse donne aux spectateurs plus facilement accès au monde de l’imaginaire. Le théâtre ou le cinéma a besoin des mots pour émouvoir. La danse, elle, a juste besoin d’un corps en mouvement. Par ailleurs, le langage chorégraphique a beaucoup évolué. À la différence de la danse classique qui repose sur une structure fixe et donc limitée, la danse contemporaine a pour vocation d’explorer. Tout peut lui servir de source d’inspiration, un rêve, un tableau, un contexte politique ou social… De fait, la principale source d’inspiration de la danse contemporaine reste le présent, ce qui se passe dans nos vies à un instant précis, ou n’importe où dans le monde. Et puisque nous parlons des différences entre la danse et les autres arts du spectacle, précisons également que la danse offre à celui qui en est le spectateur la possibilité, je dirais même la chance de prendre conscience de son propre corps.
Comment percevez-vous le public roumain ? Qu’est-ce qui l’émeut ?
Les Roumains sont très réceptifs aux spectacles de danse. Malheureusement, il y a peu d’espaces dédiés à leur diffusion, à l’exception du CNDB qui demeure la seule institution consacrée à la danse contemporaine. Nous sommes une structure publique, financée dès sa création (en 2004, ndlr) par le ministère de la Culture. Sauf que, contrairement à d’autres institutions culturelles roumaines, nous n’avons pas de salariés. Nous travaillons avec des chorégraphes et des danseurs indépendants que nous soutenons financièrement, et que nous accueillons gratuitement afin qu’ils mettent en place leurs projets. Malgré peu de moyens, nous sommes en train de préparer la deuxième édition d’Iridescent, le Festival international de danse contemporaine et d’autres reconfigurations du sensible, qui aura lieu du 1er au 29 novembre. J’en profite d’ailleurs pour saluer l’enthousiasme d’une pléiade de jeunes chorégraphes qui, grâce à des financements versés par l’Administration du fonds culturel national, sont parvenus à rendre visible la danse contemporaine en province, à Galaţi, Lugoj, Cluj ou Mediaş ; cela a permis de rencontrer de nouveaux publics. La Roumanie dispose aussi de théâtres d’État, ceux de Craiova, de Sfântu Gheorghe, ou encore l’Odeon de Bucarest, lieux qui ouvrent leurs portes à la danse. L’Odeon va notamment accueillir une troupe de danseurs espagnols invitée dans le cadre du festival Iridescent. Ceci étant, les institutions culturelles consacrant une place à la danse sont peu nombreuses, et cela a évidemment des conséquences sur le nombre de spectateurs.
Le corps est un outil de travail périssable par définition. Comment les danseuses et danseurs vivent-ils cette fragilité ?
Sur cet aspect du métier, il y a deux catégories d’artistes : les danseurs professionnels qui ont commencé la danse très jeune, et ceux qui ont découvert la danse sur le tard. J’ai en tête l’exemple de Xavier Le Roy qui, après avoir obtenu une thèse en biologie moléculaire, s’est tourné définitivement vers la danse et travaille désormais comme danseur et chorégraphe, et ce depuis 1991. À la différence du ballet et de la danse classique où un artiste est souvent considéré comme vieux dès ses 40 ans, la danse contemporaine n’est pas aussi restrictive. D’autant qu’un corps plus âgé, s’il est maintenu en forme, est parfaitement capable de proposer un langage corporel et d’atteindre un haut degré d’exigence artistique. Il y a aussi le chorégraphe Jérome Bel qui a fait danser des personnes autistes dans ses spectacles. Pour reprendre ce que je vous disais au début, la danse contemporaine se donne la liberté de travailler avec tous les matériaux corporels, et d’emprunter tous les langages artistiques. Elle n’a pas de limites.
Propos recueillis par Ioana Maria Stăncescu.