Entretien réalisé le mardi 17 octobre en milieu de journée, par téléphone et en roumain.
Professeur d’études diplomatiques à l’Université d’Oxford au Royaume-Uni, Corneliu Bjola livre son analyse sur l’action de la présidente de la Moldavie Maia Sandu, et des chances d’intégration rapide de son pays au sein de l’Union européenne…
La présidente moldave Maia Sandu restera-t-elle au pouvoir suffisamment longtemps pour qu’il y ait des résultats tangibles dans la lutte contre la corruption et la mise en place de réformes ?
Il y a déjà eu des changements réels grâce à son action, et c’est assez étonnant. Maia Sandu est parvenue à constituer un solide ancrage au sommet de l’État, ancrage qu’elle a su consolider. Ce qui est en soi une surprise compte tenu de la pression exercée par la Russie sur la Moldavie, mais aussi de la pression à l’intérieur même du pays. Si l’hiver dernier a été difficile à cause de la pénurie de gaz, Maia Sandu a réussi entre-temps à mettre en place un système lui permettant de réduire la dépendance du pays à l’égard de la Russie. Par ailleurs, comme je l’ai évoqué récemment, elle a parfaitement saisi que le sort de la Moldavie dépendait de celui de l’Ukraine. De façon générale, je pense qu’elle a accompli beaucoup de choses en seulement trois années au pouvoir. Je fais référence notamment au système judiciaire qui était un très gros problème, mais aussi à la lutte anti-corruption, alors que cette corruption débordait fortement sur le champ politique. Les problèmes économiques sont, eux, grandement jugulés grâce à l’aide européenne. Une certaine libéralisation a déjà eu lieu, mais il reste encore à obtenir des résultats concrets pour parler de réels succès. Et pour répondre directement à votre question, je dirais que ses chances de rester au pouvoir sont de l’ordre de 50 %. Le test décisif sera les élections de l’année prochaine. L’hiver qui se profile sera aussi une épreuve, mais dans une moindre mesure que l’an passé. En outre, Maia Sandu dispose d’un réel atout dans le fait que le processus d’intégration européenne a été enclenché. Je pense que la Moldavie obtiendra une réponse en décembre quant à l’ouverture des négociations. Bien qu’entre les négociations et la fin du processus d’adhésion, la route sera longue.
Comment caractériser le soutien de la société moldave à l’adhésion à l’Union européenne ? Peut-on parler de majorité évidente ?
Pour ce qui est de l’adhésion à l’Union européenne, oui. En ce qui concerne l’OTAN, non. Une campagne de désinformation russe est d’ailleurs apparue dans l’espace public, mettant en avant que l’Union européenne voulait inclure la Moldavie dans l’OTAN. Rumeur qui a pour but de susciter de la peur, et de diluer le soutien à l’Europe. Car il est clair que ce soutien est plus important que celui à l’OTAN. D’où un discours ferme de la part de l’exécutif moldave, même si celui-ci se veut également modéré vis-à-vis de la Russie, précisément pour créer une impression de stabilité dans le pays. De la même façon, la question de la Transnistrie n’est guère évoquée, tout comme celle des drones qui s’écrasent parfois sur le territoire moldave ; il s’agit de cultiver une image de paix, de pousser les gens à s’intéresser à l’Europe, et d’encourager les investissements étrangers. Ceci étant, comme je le mentionnais précédemment, les pressions ne manquent pas. Beaucoup de politiques moldaves sont opposés à l’intégration européenne, et leurs messages sont soutenus par des campagnes de désinformation russes qui mettent en avant les clivages culturels à l’œuvre dans le pays. Néanmoins, Maia Sandu s’efforce d’atténuer l’impact des réseaux de désinformation russes. À ce sujet, je trouve que Bucarest n’a pas encore pris la mesure d’une telle performance. Autre chose de fondamental… Désormais, la diaspora, les hommes d’affaires et la classe moyenne supérieure voient leur avenir lié à l’Europe vu la richesse que l’UE a contribué à apporter dans les pays voisins. La Roumanie avait un PIB de 25 milliards de dollars en 1989, il est aujourd’hui de 250 milliards de dollars. La Pologne dispose, elle, d’un PIB d’environ 700 milliards de dollars*.
* En attendant l’apport de Bruxelles, la France, les États-Unis, la Grande-Bretagne et l’Allemagne viennent d’accorder une nouvelle aide de près de 500 millions d’euros à la République de Moldavie (lire l’article de RFI Roumanie – 17/10/2023).
Qu’adviendra-t-il de la Transnistrie ?
Sans faire de mauvais jeu de mots, c’est la question à un million de dollars. Car l’intégration européenne et celle, éventuelle, à l’OTAN présupposent une résolution du problème transnistrien. La Moldavie n’a pas voulu soulever cette question avant l’ouverture des négociations pour la raison évidente que cela pourrait amoindrir le soutien de l’Occident à son égard. Lorsque la dépendance vis-à-vis de la Russie, notamment pour le gaz, n’existera plus, il en sera de même pour la Transnistrie, ce qui amènera peut-être les leaders de Tiraspol (capitale de la Transnistrie, ndlr) à revoir leurs relations avec Moscou. N’oublions pas qu’une bonne partie de leurs revenus provient précisément de ce transfert de gaz. Bien sûr, il reste la présence des troupes russes là-bas, qu’il faudra bien régler à un moment donné. Aujourd’hui, personne ne discute d’éventuelles solutions, le moment est mal choisi. À terme, peut-être que la Russie pourrait accepter de retirer ses troupes en échange de quelque chose, comme la levée de certaines sanctions, par exemple. Des possibilités existent.
Propos recueillis par Carmen Constantin.