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Entretien réalisé le mercredi 26 mars en début d’après-midi, par téléphone et en roumain.


Bogdan Popa est historien et travaille à l’Institut Nicolae Iorga de l’Académie roumaine. Il replace ici certains termes et autres dénominations de territoires de la région – Grande Roumanie, Bessarabie – dans leur contexte historique…

Pouvez-vous rappeler ce que fut la Grande Roumanie ?

À la fin de la Grande guerre, la situation était la suivante… La veille de l’armistice du 11 novembre, la Roumanie, formée à l’époque de la Munténie, de la Moldavie roumaine et de la Dobrogea, était du côté de l’Entente mais seulement depuis 1916, et ne rentrera pleinement dans le conflit qu’à partir de 1918. De fait, on peut dire que le pays a été accepté de justesse à la table des négociations lors de la Conférence de la paix de Paris qui commença en janvier 1919. Ceci étant, des événements marquants ont joué en sa faveur. En franchissant le Prout – rivière qui délimite la Roumanie de la république de Moldavie actuelle, ndlr –, la Roumanie effectuera un gros travail de pacificateur en Bessarabie. Dans le même temps, l’Empire austro-hongrois est en train de se désintégrer. Ainsi, notre pays, qui avait quasiment perdu la guerre en déplorant d’importantes pertes matérielles et humaines, va pouvoir récupérer la Transylvanie, le Banat, la Bucovine, ces trois régions étant auparavant intégrées à l’Empire austro-hongrois, ainsi que la Bessarabie. Cette dernière, après avoir déclaré son indépendance fin 1917, vote en mars 1918 pour son rattachement à la Roumanie. Il n’a pas été simple d’expliquer que le pays méritait tous ces territoires. Mais après de difficiles batailles sur trois fronts différents en 1919, à l’est comme à l’ouest, la Grande Roumanie prendra forme, conséquence de la guerre, de décisions politiques inspirées de la part de nos dirigeants, notamment celle de revenir dans le conflit, et d’efforts diplomatiques soutenus. Il s’agit d’un État avec de nombreux défis devant lui car issu de trois empires différents, mais qui marque l’unité nationale des Roumains. Précision, son histoire a été énormément idéalisée. Or, les recherches montrent que la Grande Roumanie a fait face à de grosses difficultés, à commencer par la pauvreté et de très importantes inégalités de développement entre ses régions.

Qu’entendons-nous par Bessarabie ?

C’est une question compliquée car la Bessarabie est une ancienne dénomination historique et géographique dont les contours et les frontières ont beaucoup changé. En 1812, lorsque l’Empire russe s’empare de la partie ouest de la Moldavie, entre le Prout et le Dniestr, l’ensemble est appelé Bessarabie. Même chose à la fin de la guerre de Crimée* ; la Moldavie récupère alors la partie sud de la Bessarabie – c’est-à-dire les trois territoires autour de Cahul, Ismaïl et Bolgrad actuellement en Ukraine et qui sont situés entre les bouches du Danube et celles du Dniestr, ndlr. Et nous parlons toujours de Bessarabie lorsque, comme je l’évoquais précédemment, se crée la République démocratique moldave en 1917-1918. Pourtant, il ne s’agit pas de la « république de Bessarabie ». Aujourd’hui, si le terme est toujours employé, la Bessarabie désigne surtout la république de Moldavie actuelle, à laquelle il faut ajouter les trois territoires du sud que j’ai mentionnés. Son emploi reste extrêmement politisé. Les Russes aussi utilisent le terme de Bessarabie, même si leur vision de cet espace et de certains événements n’appartiennent qu’à eux. Cela illustre la manière absolument perverse avec laquelle les frontières des républiques soviétiques ont été tracées durant l’Union soviétique. Les modifications de territoires sous-jacents ont mené à de nombreux conflits dans les années 1990, des conflits dont l’écho résonne encore aujourd’hui dans la région, mais aussi dans le Caucase. Autre incohérence, si la république de Moldavie a été amputée de sa partie sud, elle a gagné la Transnistrie.

* La guerre de Crimée (1853-1856) opposa l’Empire russe à une coalition formée par l’Empire ottoman, le Royaume-Uni, l’Empire de Napoléon III et le royaume de Sardaigne. (Ndlr)

En quoi la république de Moldavie, comme l’Ukraine, est-elle réellement un pays, n’en déplaise à Moscou ?   

Il faut commencer par le processus d’intégration européenne. À partir de 1945, la création des institutions européennes et euro-atlantiques avait pour objectif de laisser les conflits derrière nous et de favoriser la construction d’un espace commun. Après 1990, cela a impliqué de faire comprendre aux États qu’il fallait mettre de côté les prétentions territoriales et les conflits historiques au profit d’une vision politique. C’est en cela que l’Ukraine et la république de Moldavie sont de réels États, ils font partie de ces développements. Selon moi, il est fondamental que chacun d’entre nous s’adapte à cet ordre européen, lequel, encore une fois, s’est constitué en faveur de la paix. L’histoire a beau être parfois douloureuse, elle appartient au passé. Préserver cet ordre est le meilleur garant de la paix car il nous permet de parler d’une seule voix en laissant de côté les prétentions nationales.

Propos recueillis par Benjamin Ribout (26/03/25).

Note :

Notre précédent entretien avec Bogdan Popa sur l’épopée roumaine lors de la Deuxième guerre balkanique de 1913 (« Regard, la lettre » du samedi 28 mai 2022) : https://regard.ro/bogdan-popa/

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