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Entretien réalisé le mardi 18 mars dans l’après-midi, par téléphone et en roumain.


Gabriel Păun, fondateur de l’ONG Agent Green et lauréat du prix « Champions of the Earth » des Nations Unies, lutte contre la déforestation illégale. Un an après une première discussion suite aux révélations d’un documentaire d’Arte sur le sujet, il partage ses réflexions concernant les défis qui persistent…

Depuis la diffusion du documentaire d’Arte sur l’exploitation illégale des forêts en Roumanie*, avez-vous observé des évolutions concrètes sur le terrain ? Les autorités ont-elles pris des mesures ?

Ce reportage a été exceptionnel, voire inégalé, car il a su aller au cœur du problème. Il a mis en lumière la corruption qui gangrène le système de gestion, d’inspection et de contrôle des forêts en Roumanie, ainsi que les mensonges d’Ikea et cette collusion entre une entreprise et un gouvernement corrompu. Tout cela montre à quel point notre combat est compliqué. Même la Commission européenne ne défend plus sa propre législation avec la fermeté qu’elle affichait il y a dix ou quinze ans. J’ai alerté sur la situation il y a quelques semaines à Bucarest, lors de la visite d’une délégation de la Commission regroupant les Directions générales de l’environnement, de l’énergie et du climat. Je leur ai demandé de traduire la Roumanie devant la Cour européenne de justice. Et leur réponse a été la suivante : « Vous faites du bon travail, continuez à vous battre ». Que devons-nous comprendre ? Nous vivons une époque dangereuse, où même les plus hautes instances européennes ne remplissent plus leur rôle. C’est très inquiétant.

* « Ikea, le seigneur des forêts » (France/2023 – 1 heure 35) : https://www.arte.tv/fr/videos/112297-000-A/ikea-le-seigneur-des-forets/

Un nouveau code forestier est récemment entré en vigueur. Quelles en sont les principales dispositions et pensez-vous qu’il apporte des avancées significatives ?

Ce nouveau code forestier présente quelques avancées, mais ses lacunes l’emportent largement*. Il permet notamment à des entreprises comme Ikea de poursuivre des pratiques destructrices en toute légalité. Prenons l’exemple de la forêt de Fetești, dans le département de Suceava. Autrefois composée d’une dizaine d’espèces indigènes, elle a été modifiée après son acquisition par Ikea pour privilégier le chêne. Avec le nouveau code, l’entreprise pourra toujours justifier une coupe rase sous prétexte de reconstruction écologique et bénéficier de financements européens. De fait, cette loi continue d’autoriser le remplacement de forêts riches en biodiversité par des monocultures. Or, une forêt ne se limite pas à une plantation d’arbres, c’est un écosystème complexe où la faune et la flore interagissent. Certaines mesures, comme l’amélioration de la traçabilité du bois ou la confiscation des camions transportant du bois illégalement, constituent des avancées. Mais leur application reste difficile, car les policiers subissent des pressions voire des représailles lorsqu’ils tentent de faire respecter la loi. Par ailleurs, ce code comporte des aberrations, comme la possibilité de nommer à la tête de Romsilva – la régie nationale des forêts, ndlr – des personnes sans compétence en gestion forestière. Cela ouvre la porte à des nominations purement politiques, au détriment d’une gestion durable des ressources naturelles.

* Analyse du nouveau code forestier par Agent Green (en roumain) : https://www.agentgreen.ro/noul-cod-silvic-o-oportunitate-ratata-pentru-padurile-romaniei/

Avec la réévaluation des ressources minières en Europe, y a-t-il un risque accru pour les forêts roumaines ?

Oui, il existe bel et bien un risque accru pour les forêts roumaines avec la réévaluation des ressources minières en Europe. La Roumanie possède des gisements de terres rares essentielles aux nouvelles technologies. Et nous avons déjà constaté des destructions, comme dans le département de Gorj, où des forêts ont été rasées pour étendre des mines. Si l’on superpose la carte des ressources minières à celle des forêts, on constate clairement une menace. Mais ce qui m’inquiète le plus, c’est la précipitation avec laquelle les décisions politiques sont prises, sans tenir compte des avancées scientifiques. Une batterie sodium-ion, bien plus performante que les batteries lithium-ion actuelles, a récemment été mise au point. Or, le sodium est abondant et ne nécessite aucune exploitation minière destructrice. Avec une telle découverte, une large part de l’industrie minière pourrait être remise en question. Pourtant, au lieu de miser sur la recherche et l’innovation, nous restons prisonniers d’un modèle qui épuise nos ressources et détruit la nature. Plutôt que d’exploiter aveuglément les minerais, nous devrions accélérer la mise sur le marché de ces nouvelles techniques. L’Europe peut fixer un cap et prouver qu’il est possible d’assurer notre autonomie énergétique sans sacrifier nos forêts ni notre environnement.

Propos recueillis par Charlotte Fromenteaud (18/03/25).

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