Entretien réalisé le vendredi 9 juin dans la matinée, en anglais et par téléphone (depuis Berlin).
Expert des Balkans occidentaux au sein du groupe de réflexion Democratization Policy Council basé à Berlin, Bodo Weber analyse la situation en Serbie, secouée par de vastes rassemblements contre la violence, et par une nouvelle flambée de tensions au Kosovo…
Les récentes manifestations organisées à Belgrade suite à deux tueries de masse traduisent-elles un mécontentement plus profond visant le président Aleksandar Vučić et son gouvernement ?
Oui, certainement. La durée et l’ampleur de ces rassemblements ont surpris les observateurs. Car cette dernière décennie, le président Vučić a mis en place un système politique autocratique toléré voire soutenu par l’Occident, ce qui l’a renforcé. Jusqu’à présent, il n’avait été confronté qu’à une faible résistance ou opposition. Avant les deux fusillades, le système paraissait très stable, même s’il pouvait y avoir des manifestations visant le côté autoritaire du régime, la manipulation des élections ou les fraudes électorales. Or, cette fois-ci, le thème des soulèvements est social : l’état de la société serbe, la violence, celle liée au système politique, et celle promue par les médias. Même si l’on ne peut pas pour autant établir un lien direct entre les deux fusillades et le régime. L’une d’elles a visé des élèves, ce qui explique cette mobilisation massive, car les parents s’inquiètent de l’avenir et du bien-être de leurs enfants. Par ailleurs, la réaction des autorités a été dénuée de toute sensibilité, le président et la Première ministre Ana Brnabić évitant pendant des semaines de se rendre sur les lieux du drame et de rencontrer les familles des victimes, ou encore qualifiant les tueries d’« attaques terroristes », ce qui est ridicule, tout en essayant de discréditer l’opposition et les manifestants.
Le président Vučić a annoncé dans la foulée son intention de convoquer des élections législatives anticipées. L’opposition a-t-elle une chance de remporter ce scrutin ?
Il est difficile de faire des prédictions, car au-delà de ce système autoritaire et de la force du parti de M. Vučić, le SNS, il faut souligner la faiblesse chronique de l’opposition. Ces dernières semaines, le président a compris que son approche suite aux fusillades avait été contreproductive ; il tente désormais de faire des concessions, et de créer une brèche entre les citoyens et l’opposition. Il a quitté la tête du parti au pouvoir, ce qu’il avait déjà promis sans jamais tenir parole, tout en annonçant la création d’un mouvement politique qui englobera le SNS et qu’il devrait diriger. Il a aussi accepté certaines demandes des manifestants, et annoncé des hausses salariales et des allocations pour différentes catégories. Par ailleurs, avec l’été qui s’installe, on peut s’attendre à ce que les manifestations s’essoufflent. Et vu que la date des élections n’a pas été annoncée, je me demande si l’opposition pourra maintenir la dynamique du mouvement et profiter de cet élan pour réaliser des avancées lors de ces prochaines échéances électorales.
Il y a également eu une nouvelle flambée de tensions au Kosovo, craignez-vous une escalade, ou pensez-vous plutôt que le dialogue peut être relancé ?
Depuis un an, nous assistons à une escalade du conflit, en parallèle aux négociations menées sous la houlette de l’Union européenne et des États-Unis sur un nouvel accord entre Belgrade et Pristina – capitale du Kosovo, ndlr –, présenté en février dernier à Bruxelles. Cela prouve que l’approche des Occidentaux, visant à ménager M. Vučić, n’est pas la bonne. Les violences contre les soldats de la KFOR par des bandes armées serbes soutenues par Belgrade représentent un signal d’alarme à l’adresse de l’Occident. Tant que la manière de négocier de l’UE et des USA ne changera pas, il n’y aura pas de progrès dans ce dialogue politique. Je pense que les Occidentaux devraient adopter une position plus ferme envers la Serbie, avec le message clair qu’elle doit accepter la réalité d’un Kosovo indépendant si elle veut devenir membre de l’UE.
Propos recueillis par Mihaela Rodina.