Entretien réalisé le lundi 12 juin dans la soirée, par téléphone et en roumain (depuis Chișinău).
La République de Moldavie a pris une sérieuse option pro-européenne, mais l’influence de la Russie se fait toujours sentir, estime l’analyste politique Ion Tăbârță…
Le 1er juin dernier, la Moldavie a accueilli la deuxième réunion de la Communauté politique européenne (CPE, ndlr)*. Que pensez-vous de cette nouvelle organisation proposée par le président français Emmanuel Macron ?
C’est une bonne idée, même s’il faut reconnaître qu’au départ, elle a été accueillie avec circonspection. Apparue dans le contexte de la candidature de l’Ukraine, de la Moldavie et de la Géorgie à l’Union européenne, beaucoup ne voyaient pas l’intérêt d’une nouvelle organisation alternative à l’Union européenne. Mais aujourd’hui, l’objectif d’Emmanuel Macron semble mieux compris ; il est de rassembler tous les États du continent européen qui partagent des valeurs démocratiques, qu’ils soient membres ou pas de l’UE. À l’heure actuelle, les menaces qui pèsent sur la sécurité du continent européen sont les mêmes pour tous les États. Et pour des pays comme la République de Moldavie, faire partie de cette communauté représente une valeur ajoutée et un plus en termes de crédibilité.
* À lire, l’article d’Aneta Gonța sur cette rencontre dans Agora francophone : https://www.agora-francophone.org/coupable-d-avoir-le-sentiment-de-fierte-de-dignite-de-reconnaissance
Pensez-vous que la position de la présidente moldave Maia Sandu a été renforcée ? Le sommet de Bulboaca – où a eu lieu la rencontre du 1er juin, ndlr – l’a-t-elle aidé sur le plan interne ?
À l’extérieur, la présidente Maia Sandu a toujours eu une très bonne image. Alors qu’à l’intérieur du pays, cela n’est pas le cas de façon unanime, loin de là, notamment à cause de la Fédération de Russie et de sa guerre hybride contre la Moldavie. Par ailleurs, les partis moldaves ont un caractère très personnalisé, c’est-à-dire qu’ils sont perçus à travers leurs dirigeants, tout comme l’ensemble des institutions de l’État. De la même façon, le parcours européen de la Moldavie est directement associé à la présidente Sandu, mais les tentatives visant à diminuer la confiance en son image et en son travail préoccupent beaucoup le gouvernement. Toutefois, après une période assez compliquée à partir de l’automne dernier, lorsqu’il y a eu des tentatives de déstabilisation générées par des mouvements pro-russes, il semblerait que les choses se soient calmées, et que la société moldave ait réussi à affirmer son désir européen. Non seulement à Bulboaca, mais aussi lors du grand rassemblement qui s’est tenu une semaine plus tôt, véritable manifeste pro-européen de la part de la société civile. Tous ces événements ont évidemment renforcé la position de Maia Sandu dans la perspective d’échéances électorales très importantes : l’élection présidentielle de l’année prochaine, et surtout les élections parlementaires de 2025.
À propos des tentatives de déstabilisation que vous évoquez, quelle est actuellement la force de l’influence de la Russie sur la Moldavie ?
L’influence de la Russie demeure, et repose sur plusieurs aspects importants. Tout d’abord, la propagande et la désinformation. En République de Moldavie, il existe un terrain très fertile pour la propagande et la désinformation russes, en particulier dans les régions rurales qui sont socialement et économiquement vulnérables. Dans ces parties du pays, cette propagande prend de l’ampleur et crée des réalités parallèles. Deuxième élément, les acteurs politiques d’influence pro-russe… Au Parlement de Chișinău, il n’y a pas de forces politiques représentant les intérêts nationaux, il y a surtout des groupes qui représentent les intérêts géopolitiques de la Fédération de Russie, et ceux des oligarques fugitifs. De fait, malheureusement, on ne peut toujours pas être certain que le cours européen de la République de Moldavie soit irréversible. Moscou fait tout pour discréditer le gouvernement actuel et pour réduire la popularité du courant européen, l’objectif étant qu’après les élections parlementaires de 2025, le pouvoir en place à Chișinău redevienne pro-russe.
Propos recueillis par Carmen Constantin.