Entretien réalisé le dimanche 16 février dans l’après-midi, par téléphone et en roumain (depuis New York, États-Unis).
Le 14 février, le discours du vice-président américain JD Vance à la conférence de Munich sur la sécurité a suscité bien des critiques de responsables européens*. Décryptage avec Aurelian Mohan, chef de projet à l’université de Columbia (New York, États-Unis)…
Le discours de JD Vance a remis à plat les relations entre les partenaires de l’OTAN. Comment vont-elles évoluer ?
Pour répondre à votre question, permettez-moi de citer la Haute représentante de l’Union européenne pour les affaires étrangères, Mme Kaja Kallas. Selon elle, le discours du vice-président JD Vance suggère que les États-Unis témoignent clairement d’une volonté de confrontation avec l’Union européenne, tout en concluant que l’UE ne souhaitait pas entamer de confrontation avec ses partenaires. En résumé, nous pouvons nous attendre à ce que les interactions entre les États-Unis et leurs alliés européens soient tumultueuses à moyen et long terme. Nous sommes dans une situation délicate ; quoi que nous fassions, les choses ne semblent pas en notre faveur. Sur le plan économique, l’Union européenne a deux options : adopter une approche belliqueuse ou bien une approche conciliante. Si cette dernière va nécessiter d’âpres négociations, je pense que c’est celle que Bruxelles va privilégier. Or, cela pourrait nous placer dans une position relativement précaire. Par exemple, l’idée de réduire les droits de douane sur les importations de voitures américaines de 10 à 2,5 % aurait un impact négatif sur notre propre industrie automobile. Quant à la défense, je ne vois pas de changements majeurs dans le mode opératoire de l’OTAN. D’un côté, l’administration Trump souhaite que chaque membre augmente son budget militaire ; de l’autre, elle compte réduire son soutien à l’Ukraine, qui risque fort de se retrouver dans la position du perdant. À voir, dans ce contexte, comment vont évoluer les relations au sein de l’OTAN. Il est possible que les pays européens poursuivent le projet d’une armée européenne commune.
* Vidéo du discours (19 minutes 20) : https://www.youtube.com/watch?v=IvheASRITtY
Les États-Unis sont le principal partenaire stratégique de la Roumanie. Cela pourrait-il changer ?
Je ne voudrais pas effrayer vos lecteurs, mais toutes les conditions sont réunies pour une détérioration significative des relations entre les États-Unis et la Roumanie. Et ce pour plusieurs raisons… D’abord, notre budget défense n’atteint pas le niveau souhaité par les Américains. Ensuite, nous sommes confrontés à une crise constitutionnelle sans précédent, la démocratie roumaine est en déclin, depuis des années, et le nouveau président roumain qui sortira des urnes en mai prochain pourrait ne pas s’aligner idéologiquement sur l’administration Trump. Sans oublier que la Roumanie se trouve confrontée à un excédent commercial important vis-à-vis des États-Unis. Or, le président Trump voudra sans doute contraindre le pays à importer davantage de produits et services américains. Par ailleurs, n’oublions pas que l’allié modèle des États-Unis sur le flanc oriental de l’OTAN est la Pologne, ce n’est pas la Roumanie, qui ne dispose pas d’une politique étrangère bien définie. Actuellement, tout le monde perçoit Bucarest comme un partenaire stratégique affaibli, en pleine crise constitutionnelle et sous la menace d’une crise économique aiguë. Le discours de JD Vance révèle aussi que l’establishment politique roumain n’est pas bien vu à Washington. Selon Vance, celui-ci a lamentablement échoué dans ses efforts pour protéger les valeurs démocratiques et les principes constitutionnels. Enfin, j’ai parlé à de nombreux experts aux États-Unis ; les fonctionnaires américains s’interrogent sur la capacité de la Roumanie à remplir ses obligations dans le cadre du partenariat transatlantique.
Ceci étant, la Roumanie semble rester très pro-américaine…
Effectivement, notre partenariat stratégique avec les États-Unis dépasse le strict cadre militaire. Il n’est pas seulement destiné à nous protéger de la Russie, il est aussi fondé sur un attachement extrêmement fort aux valeurs et mécanismes démocratiques dont les États-Unis se sont dotés et qu’ils ont promus au fil des ans. Mais encore une fois, si l’on observe attentivement le discours de JD Vance, cet attachement n’a peut-être plus beaucoup d’importance.
Propos recueillis par Carmen Constantin (16/02/25).