Entretien réalisé le samedi 15 février en début d’après-midi, par téléphone et en roumain.
Artiste plasticienne, Diana Oțet enseigne à la Faculté des Beaux-Arts de Cluj-Napoca. Dans cet échange, elle se penche sur la place que l’intelligence artificielle occupe dans son travail…
Certains artistes éprouvent un sentiment d’anxiété à l’égard de la montée en puissance de l’IA, quelle est votre opinion sur le sujet ?
Cela dépend en grande partie de la manière dont nous nous rapportons au phénomène. À mon avis, le principal problème est le contexte dans lequel l’intelligence artificielle est apparue, à savoir une surabondance d’informations. Or, ce contexte peut avoir un impact négatif sur la manière de mettre à contribution nos sens voire notre manière de penser, ou encore réduire nos capacités de mémoire et d’être en phase avec nous-mêmes. Par ailleurs, un artiste ne doit pas se leurrer quant aux avantages qu’apportent l’intelligence artificielle, en particulier la facilité avec laquelle il est possible de générer des images complexes et impressionnantes. Dans le fond, elles sont sans grande valeur. Malgré tout, certains craignent d’être assaillis par une invasion d’images sans rapport réel avec la sensibilité humaine, créant ainsi une concurrence déloyale dans un contexte où la simplicité mais également l’authenticité d’une œuvre d’art ne sont guère appréciées. Les choses sont d’autant plus compliquées qu’en Roumanie, le public au sens large ne dispose pas nécessairement de connaissances ou de liens avec l’art contemporain ; pour la plupart des gens, c’est quelque chose d’inaccessible et de difficile à déchiffrer. Au lieu d’aller voir des expositions, ils préfèrent aller au cinéma, les choses y sont plus faciles à comprendre, plus rationnelles et donc mieux assimilables.
À terme, quel impact auront les nouvelles technologies sur votre travail ? En quoi vont-elles le modifier ?
J’évoque souvent votre question avec mes étudiants, en particulier ceux du département de graphisme qui viennent avec toutes sortes d’appareils leur permettant de créer des images très complexes ; la plupart d’entre elles n’ont aucune valeur intrinsèque. Et c’est là, selon moi, qu’apparaissent les limites de l’IA. Dans l’art, nous ne recherchons pas la perfection, mais la vulnérabilité, l’honnêteté et l’imperfection. Notre manière d’appréhender aujourd’hui l’impact de l’intelligence artificielle sur l’art rappelle celle avec laquelle nos prédécesseurs ont vu apparaître la photographie au 19ème siècle. Il était question qu’elle remplace la peinture, alors qu’en fait, ce n’est que la fonction captatrice de l’instant qui a été amoindrie. Une fois la peinture libérée de sa fonction mimétique, elle a pris un nouvel élan extraordinaire. Même chose pour le livre en tant qu’objet qui est également concurrencé par l’environnement virtuel. En tant que graphistes, l’énergie que nous infusons dans la réalisation d’un livre ne pourra jamais être remplacée par une image produite par l’IA. De fait, je ne pense pas que les nouvelles technologies puissent rendre mon art caduque. Mon langage artistique implique beaucoup de subjectivité, il s’inspire à la fois de la réalité et de mon expérience personnelle.
Comment vivez-vous la modernité actuelle en tant qu’artiste et citoyenne ?
En tant que mère, artiste et enseignante, mes rôles sont bien entendu divers. Je m’efforce de prendre le temps d’aller dans mon atelier, c’est là que je peux me détacher de la réalité extérieure et me connecter à ma réalité intérieure. Je pense que c’est d’ailleurs la chose la plus précieuse que l’art m’apporte. Et quels que soient les changements technologiques ou conceptuels à venir, je vais continuer à me préoccuper de transposer ma réalité personnelle en art, en déchiffrant certaines incertitudes ou mystères auxquels je me confronte. Par ailleurs, je conçois que les nouvelles technologies puissent m’aider à planifier mes journées plus facilement, même si cela dépend plutôt, dans le fond, de la façon dont je parviens à maintenir un certain équilibre. J’ai remarqué, par exemple, qu’en utilisant beaucoup le GPS, je perdais mes repères et n’arrivais plus à m’orienter. Tout simplement parce que je ne fais plus attention à ce qui m’entoure. Nous sommes face à de vrais défis. Et ce n’est qu’en les acceptant que nous pourrons mieux les appréhender.
Propos recueillis par Ioana Stăncescu (15/02/25).
Note :
Liens sur le travail de Diana Oțet :