Entretien réalisé le vendredi 14 janvier dans l’après-midi, par téléphone et en roumain.
Le 20 janvier, le jour même de son investiture en tant que président des États-Unis, Donald Trump a décidé de geler les financements de l’agence Usaid et de l’aide américaine au développement pendant 90 jours. Ovidiu Voicu, président de l’association Inovare publica, détaille l’impact de cette décision sur la société civile et l’aide humanitaire en Roumanie…
Quelles sont les conséquences de l’arrêt des financements américains d’aide au développement en Roumanie ?
Depuis son entrée dans l’UE en 2007, la Roumanie bénéficie moins des aides américaines, que ce soit pour les ONGs ou les médias indépendants. Ce qui n’est pas le cas en Moldavie ou en Ukraine, par exemple, où ce type de structures dépend beaucoup de ces aides et sont donc très touchées par l’arrêt des financements. Par ailleurs, à travers d’autres mécanismes, la Roumanie perçoit toujours des financements américains pour l’aide humanitaire, les infrastructures, la sécurité et l’énergie. Ce sont plutôt les personnes vulnérables qui sont directement affectées, notamment les victimes de trafics, les migrants et les réfugiés, comme les Ukrainiens. Jusqu’à présent, ces derniers ont bénéficié du soutien d’organisations internationales qui reçoivent elles-mêmes de larges financements américains pour l’aide humanitaire. Ensuite, nous ne savons pas encore ce qu’il va se passer pour les grands projets dans les domaines de la sécurité et de l’énergie. Je pense notamment au projet pilote des petits réacteurs modulaires américains (PRM, ou réacteurs nucléaires avancés, ndlr). Pour l’instant, ces projets élaborés sur une longue période ne seront pas affectés s’il ne s’agit que de trois mois de suspension.
Plus généralement, quelles sont les problématiques liées à la dépendance de fonds étrangers ?
À la base, ce type d’aide provient d’une philosophie humaniste selon laquelle ceux qui ont plus de ressources ont des responsabilités morales et doivent soutenir les personnes dans le besoin. Ceci dans le but de réduire le décalage de développement dans le monde. Néanmoins, la présence de financements extérieurs a tendance à inhiber le développement d’une culture philanthropique locale. Cette dépendance aux financements extérieurs devient également contraignante, il y a toujours le risque qu’un soutien important se retire. Enfin, il y a un souci de perception ; quand les idées nationalistes et extrémistes prennent du terrain, obtenir des financements extérieurs peut fortement affecter les ONG et autres institutions d’aide*.
* C’est ce qu’il s’est passé en Géorgie en mai de l’année dernière, où un projet de loi controversé sur « l’influence étrangère » impose désormais des mesures contraignantes à toute ONG ou média qui serait financé depuis l’étranger, à l’image de ce qui se fait en Russie (ndlr).
En Roumanie et ailleurs, quelles ont été les réactions des partis nationalistes après le gel de Usaid ?
Les partis et responsables d’extrême droite se sont emparés du sujet pour propager cette idée conspirationniste selon laquelle il existe un but caché de ces organisations progressistes ou « woke », qui seraient financées de manière non transparente par des fonds américains. Ce qui n’a pas de sens, car ces organisations ont toujours été très transparentes sur leurs financements. Cela alimente un discours de haine envers les médias indépendants et la société civile, et amplifie la polarisation de la société. On voit aujourd’hui des groupes et partis d’extrême droite dans toute l’Europe essayant d’obtenir des listes et de « démasquer », selon eux, les bénéficiaires de Usaid qui seraient en quelque sorte des « ennemis de l’État ». C’est très dangereux, ce type d’actions est le germe du fascisme. C’est la tactique politique des autocraties, celle de désigner un ennemi pour justifier leur existence ainsi que leurs mesures autoritaires de gouvernance pour soi-disant lutter contre ce faux ennemi.
Propos recueillis par Marine Leduc (14/02/25).
Note :
Jeudi 13 février, un juge a bloqué le gel de l’aide des États-Unis à l’étranger ordonné par Donald Trump : https://www.lemonde.fr/international/article/2025/02/14/un-juge-americain-bloque-le-gel-des-fonds-americains-d-aide-etrangere-ordonne-par-donald-trump_6546348_3210.html
Affaire à suivre…