Le vieillissement de la population est devenu un vrai problème en Roumanie. Si la tendance actuelle se maintient et les autorités n’interviennent pas pour stimuler l’emploi, les experts soutiennent que d’ici 2040 le pays sera confronté à des difficultés insurmontables pour payer les retraites.
En 1988, la Roumanie de Nicolae Ceauşescu fêtait la naissance du 23 millionième Roumain. Aujourd’hui, le pays ne compte plus que 19,9 millions d’habitants : à l’origine de ce déclin, la chute de la natalité et l’émigration. « La Roumanie est entrée dans la 26ème année consécutive de baisse de sa population. Ce recul représente l’une des principales menaces à l’adresse du système public de retraite », souligne le sociologue Vasile Gheţău.
En l’espace de deux ans seulement, entre 2012 et 2014, le nombre d’enfants âgés de 0 à 14 ans a baissé de près de 95 000, se chiffrant à 3,09 millions, tandis que celui des adultes de 15 à 64 ans a chuté de 114 000, à 13,5 millions. En revanche, le nombre de personnes âgées de plus de 65 ans – l’âge légal du départ à la retraite pour les hommes, 63 ans pour les femmes – a progressé de 55 000, pour s’élever à 3,3 millions. A ce rythme, s’il y a aujourd’hui 25 personnes âgées pour 100 adultes, ce rapport passera à 50 pour 100 adultes d’ici 2050. Le rapport sera encore plus dramatique lorsqu’il s’agira du nombre de retraités par employé, d’autant que les analystes soulignent que les départs à la retraite sont plus nombreux que les nouvelles embauches.
Le Premier ministre Victor Ponta a récemment assuré que pour la première fois après une dizaine d’années, le nombre de salariés a augmenté et rattrapé celui des retraités, s’élevant à 5,2 millions de personnes. Mais selon l’Institut national des statistiques, la Roumanie comptait moins de 4,5 millions de salariés fin 2014, tandis que des experts indépendants soulignent qu’il est difficile de faire un décompte exact. « Lorsqu’on parle du nombre de salariés et de retraités, on ne peut pas faire une équation du genre A égale B, les choses ne sont pas si simples que ça », indique Dumitru Costin, leader du Bloc National Syndical (BNS). Selon lui, une grande partie des nouveaux salariés enregistrés ont en fait des contrats de travail à temps partiel, ce qui veut dire que leurs cotisations au système public de retraite sont modiques.
En outre, de plus en plus de Roumains, soit un sur cinq actuellement, sont payés au salaire minimum, ce qui fera que leur retraite suffira à peine pour subvenir à leurs besoins de base. S’élevant à 860 lei par mois (environ 180 euros), la retraite moyenne représente aujourd’hui 27% du salaire moyen brut. « Les déséquilibres auxquels nous sommes confrontés aujourd’hui sont le résultat des mauvaises décisions prises par le passé », estime de son côté l’analyste Suzana Dobre, évoquant les lois autorisant les départs anticipés à la retraite ou encore les majorations des pensions à des fins électorales.
« La Roumanie est entrée dans la 26ème année consécutive de baisse de sa population. Ce recul représente l’une des principales menaces à l’adresse du système public de retraite »
Un pic dans ces déséquilibres sera sans doute atteint vers 2030, lorsque les « decreţei », ces enfants nés après l’adoption en 1966 par les autorités communistes d’un décret interdisant l’avortement, atteindront l’âge de la retraite. Suite à l’entrée en vigueur de ce texte, le nombre de nouveaux-nés doubla presque en l’espace d’un an, passant de 273 000 en 1966 à 527 000 l’année suivante. Selon des estimations, si le taux de natalité enregistré cette année-là s’était maintenu, la Roumanie compterait aujourd’hui environ 32 millions de personnes. Ce taux baissa toutefois progressivement, passant de 27 nouveaux-nés pour 1 000 habitants, à 10 pour 1 000 habitants en 2012.
Mais déjà, rappelle M. Costin, « le système public des retraites enregistre un déficit chronique ». En 2014, son solde a représenté 2% du produit intérieur brut, soit 3 milliards d’euros. En 2015, suite à l’entrée en vigueur de la baisse des charges patronales, ce déficit risque de progresser d’un milliard d’euros supplémentaires. Afin de payer l’intégralité des retraites, soit 11,4 milliards d’euros par an, le gouvernement doit compenser la baisse des cotisations en puisant dans le budget public, ce qui pénalise d’autres secteurs clés, dont la santé et l’éducation. « Cela équivaut à hypothéquer l’avenir », déplore M. Costin.
« Les Roumains nés après 1967 craignent qu’une fois à la retraite, leur pension ne leur assurera pas un niveau de vie décent », indique le groupe de réflexion ExpertForum dans un rapport sur les retraites à l’horizon 2040. Citant également les conclusions d’une étude réalisée par la Banque mondiale, ExpertForum évoque une triple pression sur le système de retraite : « La baisse du nombre des personnes qui cotisent, la multiplication des bénéficiaires et la progression de l’économie informelle, donc du nombre des personnes qui ne paient pas de charges sociales. »
Le groupe recommande d’améliorer la collecte des charges sociales et de développer le système de retraite « par capitalisation » – qui opère en Roumanie depuis 2008 sous le nom de « 2ème pilier », avec des contributions obligatoires à un fonds de retraite privé pour les employés âgés de moins de 35 ans. Fin 2014, les actifs des fonds de retraite privés s’élevaient à 4,26 milliards d’euros, en hausse de 37% par rapport à la fin 2013. Même si leur rendement est passé de 11,75% à 8,71% l’année dernière.
« Pour 2015, nous nous attendons à une progression de 3,5% du nombre de contributeurs, à 6,5 millions, et à des cotisations de 4,4 milliards de lei, en hausse de 14% par rapport à 2014 », a déclaré lors d’une conférence de presse en janvier dernier la présidente de l’Association pour les pensions de retraite privées (APAPR), Raluca Ţintoiu. Selon le calendrier prévu, le quota de contribution à ce système passera en mars de 4,5% à 5%, avant d’atteindre 6% en 2016.
Ceci étant, les analystes s’accordent pour dire que la clé pour résoudre le casse-tête des retraites est surtout de stimuler l’emploi. ExpertForum assure qu’il suffirait de créer 625 000 nouveaux emplois sur dix ans et de limiter le travail au noir pour renforcer les chances d’une retraite « décente » et alléger le fardeau pour le budget public. Le leader du BNS indique lui que sept des huit régions de développement du pays souffrent d’une baisse du nombre de personnes en âge de travailler. La seule exception est la région du nord-est, qui est aussi la plus pauvre, avec un PIB par habitant s’élevant à peine à 50% de la moyenne nationale. « Pour combler ce déficit de main-d’œuvre, les autorités doivent trouver des solutions afin notamment d’encourager la mobilité », affirme-t-il.
« La Roumanie enregistre aujourd’hui l’un des taux d’occupation les plus faibles d’Europe », soit 64% d’employés parmi les personnes âgées de 20 à 64 ans, déplore Mme Dobre. « Même si ce taux progresse, lorsque les « baby-boomers » atteindront l’âge de la retraite, la main-d’œuvre sera en deçà des besoins. Dans ces conditions, d’ici quelques années, la Roumanie devra penser à attirer des travailleurs d’autres pays. »
Mihaela Rodina (mars 2015).