Six mois après son ouverture, le procès d’un ancien commandant de prison politique communiste, Alexandru Vişinescu, pour crimes contre l’humanité – le premier du genre en Roumanie –, a permis d’établir sans équivoque la brutalité du régime de détention imposé aux dissidents à Râmnicu Sărat (est du pays).
Toutefois, le refus de l’accusé de s’exprimer sur ce qui s’est passé dans la prison, l’absence de certains documents, encore classés secret, sur les règles de traitement des détenus édictées par les autorités communistes dans les années 1950 et 1960, laissent des zones d’ombre sur la chaîne de décisions qui a conduit à ce que les procureurs décrivent comme « un régime d’extermination ».
Outre la faim et le froid, l’isolement était tel pour les détenus politiques que Corneliu Coposu, figure de la résistance au totalitarisme, avait « du mal à parler » après sa libération, a-t-il souligné dans une interview réalisée avant sa mort et diffusée au procès. Dans cette inhumanité quotidienne, le français a aidé les prisonniers : quand ils réussissaient à tromper la vigilance des gardiens en toussant des codes morses, beaucoup formaient des mots dans cette langue qui leur était chère et qui avait moins de chance d’être comprise par leurs oppresseurs.
Alexandru Vişinescu a implicitement reconnu les conditions terribles de détention, lâchant après le témoignage vidéo d’un ex-détenu : « Ce qu’il dit est vrai. » Mais il a refusé de livrer une déclaration détaillée. L’ex-commandant estime que c’est à l’administration pénitentiaire de répondre pour ces faits. « Tout ce que j’ai fait, je l’ai fait sur leur ordre, je n’étais pas seul », a-t-il lancé. « L’administration pénitentiaire actuelle peut dire qui était responsable à l’époque, mais ils ne viennent pas », a-t-il regretté le 25 février tout en affirmant ne plus se souvenir du nom de ses supérieurs.
Si le fait d’avoir obéi aux ordres n’est pas suffisant pour être exonéré de toute responsabilité dans les dossiers de crimes contre l’humanité – comme l’ont établi les tribunaux internationaux de Nuremberg à La Haye –, l’absence des représentants de l’administration pénitentiaire et du ministère de l’Intérieur aux audiences, alors qu’ils sont cités comme partie civile responsable, empêche d’avoir une image complète sur le fonctionnement de l’appareil répressif de l’époque.
La juge a demandé la déclassification des règlements établis par les communistes pour le traitement des détenus politiques. Plus de 50 ans après les faits et 25 ans après le retour à la démocratie, ces derniers étaient encore secrets.
Après six mois, le procès laisse toutefois un regret à de nombreux observateurs. Malgré son importance historique et la gravité des accusations – crimes contre l’humanité –, l’affaire est traitée comme un cas de criminalité ordinaire. Les débats sont parfois interrompus par une affaire mineure de trafic de cannabis. Alexandru Vişinescu se retrouve défendu par une avocate commise d’office après le départ inopiné de deux de ses conseils. Une demande d’enregistrement vidéo des audiences à des fins historiques par l’Institut pour l’investigation des crimes du communisme – sur le modèle de ce qui a pu être fait en France pour les procès de Klaus Barbie ou Maurice Papon – a été rejetée sans explication par le procureur. Une chance manquée de garder une trace visuelle d’un procès crucial pour l’Histoire de la Roumanie.
Isabelle Wesselingh (mars 2015).