Laura Ștefan est coordinatrice des activités anti-corruption du think tank Expert Forum qui s’intéresse aux politiques publiques et aux réformes administratives. Elle travaille aussi sur la lutte contre le crime organisé…
Comment la lutte contre la corruption et le crime organisé a-t-elle évolué ces dernières années en Roumanie ?
Nous avons eu tout ou presque : des manifestations gigantesques, des changements à la tête des institutions de la lutte contre la corruption (DNA, ndlr) et du crime organisé (DIICOT, ndlr), des attaques contre l’État de droit. Tous ces événements ont eu un impact sur l’efficacité du travail des procureurs. Nous espérons que les prochaines élections vont permettre d’avoir un gouvernement et un parlement fiables, ce qui nous permettra de suivre de plus près l’activité de ces mêmes procureurs. Par ailleurs, les coopérations entre États, notamment de l’Union européenne, se basent sur la confiance. Celle-ci a été minée par les événements de ces dernières années. Il est indispensable de recouvrer cette confiance en montrant qu’il y a des personnes au sein de nos institutions qui font leur travail correctement.
De quelles manières le crime organisé se manifeste-t-il ?
La Roumanie est le pays de l’UE où le trafic d’êtres humains est le plus important. Nous sommes aussi sur la route du trafic de drogues, via le port de Constanța. Ce qui m’inquiète le plus est que l’État semble avoir perdu son autorité sur certaines parties du territoire, où nous voyons des gangs qui le remplacent. De fait, ces grands groupes mafieux n’existeraient pas sans l’aide des autorités, qui ferment volontairement les yeux. Un exemple, dont nous ne savons pas avec certitude s’il est lié au crime organisé mais qui montre que l’État ne joue pas son rôle : la pollution de l’air à Bucarest. Des déchets sont brûlés aux abords de la ville sans autorisation. Bien qu’un débat public ait lieu sur le sujet depuis environ un an, les autorités sont incapables de localiser les responsables. Il n’y a aucune explication crédible sur une période aussi longue, il est donc normal que les habitants deviennent suspicieux, et ils doivent l’être. L’érosion de l’État est ainsi très visible et commence à affecter notre vie au quotidien.
Quelles doivent être les priorités de la lutte contre le crime organisé ces prochaines années ?
Le 11 novembre dernier, le ministère de l’Intérieur a annoncé un « Jour J » dans la lutte contre le crime organisé, avec des centaines de perquisitions. Mais il s’agit davantage de communication qu’autre chose, notamment en période électorale. Chaque jour doit être un jour J, il faudrait un travail plus concret qui ne se cantonne pas aux arrestations. Plusieurs choses sont à mettre en place : une direction solide à la tête de la DIICOT et une meilleure coopération entre les Cellules de renseignement financier (CRF, ndlr) de chaque pays européen. Cela permettra d’être plus efficace dans le traçage des biens et fonds volés par la corruption et le crime organisé afin que les profits tirés du crime soient restitués à l’État ou aux victimes. Mais la question de la mise en pratique demeure. Enfin, nous devons complètement repenser notre politique envers les victimes ; comment elles sont traitées, comment elles sont écoutées et, de façon générale, comment la société les considère. Car on remet souvent la faute sur elles.
Propos recueillis par Marine Leduc.