Plongée dans l’industrie du cinéma avec Antoine Bagnaninchi, patron de la société de distribution de films Independența Film, qu’il a fondé en 1997 à Bucarest. Personnalité connue du milieu cinématographique, il fait notamment partie du conseil d’administration du Centre national de la cinématographie (CNC). Il est également le représentant de TV5 Monde en Roumanie…
Comment avez-vous fondé Independenţa Film ?
Après un premier voyage à Bucarest à la fin des années 1990, un très bon ami m’a convaincu de faire de même, et sur un coup de tête, je suis arrivé ici en janvier 1997. Certes, j’étais déjà cinéphile, mais je n’avais alors aucune idée de ce qu’était la distribution de films. Je préciserais qu’à la fin des années 1990, il existait déjà des opérateurs privés dans ce secteur en Roumanie, les représentants des principaux studios de production américains étaient là, par exemple. Et il y avait une présence forte de Romania Film, régie autonome publique agissant comme un opérateur privé, qui gérait, à l’époque, toutes les salles de cinéma. Dans ce contexte, l’idée de fonder Independenţa Film reposait sur l’envie de proposer une offre diverse, notamment des films européens. C’est ce que nous continuons de faire aujourd’hui, on achète les droits d’un film pour un territoire donné, en l’occurrence la Roumanie, pour l’exploitation du film dans les salles de cinéma, mais aussi les droits vidéo, VOD (vidéo à la demande, ndlr), et les droits télévision.
Quel a été l’impact de la crise sanitaire sur l’industrie cinématographique européenne ? Et sur les scénarios ?
D’abord, il y a eu beaucoup d’arrêts de production lors du premier confinement, c’est-à-dire dans le courant du premier semestre 2020, certains films ne se sont pas faits. D’autant que la pandémie a démultiplié les coûts de production. Quant aux films eux-mêmes, peu ont pris en compte la crise sanitaire. Un film me vient en tête cependant, celui de Radu Jude, Babardeală cu bucluc sau porno balamuc, qui a remporté l’Ours d’or à Berlin cette année, et où l’on voit la protagoniste porter un masque alors qu’elle déambule dans Bucarest. Ou encore le film japonais Drive my car, prix du scénario à Cannes ; à la fin, on voit aussi des personnages avec un masque. Mais la plupart des films en salle aujourd’hui ont été pensés avant la crise. Sinon, côté finances, en Roumanie il y a eu quelques velléités à un moment donné de la part du ministère de la Culture pour faire quelque chose, mais aucune aide spécifique n’en est ressortie. À la différence de la France qui a bien soutenu le secteur, notamment la production et les cinémas. De fait, chaque situation varie selon les pays. Et au niveau européen, le programme média Creative Europe a ajusté ses soutiens en fonction de la pandémie, mais il n’y a pas eu d’apports supplémentaires.
Vous faites partie du conseil d’administration du Centre national de la cinématographie, la principale institution de financement des films, documentaires et festivals en Roumanie. Comment jugez-vous le manque de pluralité des sources de financement du secteur ?
Le seul pourvoyeur de fonds du cinéma roumain est effectivement le CNC. Très peu de films se font grâce à des apports privés. Or, le CNC n’a pas beaucoup de ressources, il dépend d’une loi de plus de vingt ans n’intégrant pas, par exemple, les plates-formes VOD, qui pourraient être une source de financement. Aujourd’hui, Netflix est très puissant en Roumanie, mais il ne reverse rien au CNC pour l’aide à la production. Par ailleurs, depuis un an et demi, une loi devant permettre que 4% des gains de la loterie nationale reviennent au CNC est bloquée par l’ANAF (l’administration fiscale, ndlr), qui n’a toujours pas élaboré de norme méthodologique afin que cette opération se concrétise. Maintenant, pour revenir à l’autre volet de votre question sur la pluralité des sources de financement, je voudrais préciser que la sélection des films et autres se fait par des commissions indépendantes, renouvelées tous les six mois. Au conseil d’administration, on ne fait que de l’administratif. Le véritable problème reste le manque de fonds, le CNC ne pouvant financer qu’une dizaine de projets par session, ce qui est très peu. Il est souvent critiqué, alors que les véritables responsables sont les gouvernements successifs qui n’ont rien fait pour résoudre la situation.
Propos recueillis par Olivier Jacques.