Spécialiste en géopolitique, Angela Grămadă est présidente de l’association Experts for Security and Global Affairs, basée à Bucarest. Elle revient sur la situation politique en république de Moldavie…
Pourquoi la formation d’un gouvernement à Chișinău – capitale de la république de la Moldavie, ndlr – est-elle si difficile ?
Tout d’abord, il y a la pandémie, une situation spéciale qui ne peut être ignorée ni par les citoyens ni par les acteurs politiques. Et ce sont surtout ces derniers les responsables de l’aggravation des indicateurs ; décisions incohérentes, adoptées en retard et mal appliquées, parfois instrumentalisation des mesures sanitaires à des fins politiques, relations douteuses entre hommes politiques et cercles d’affaires dans le domaine de la pharmacie et de la santé en général… Tout cela a généré beaucoup de mécontentement. La crise sanitaire est utilisée par divers acteurs politiques pour avancer ou, au contraire, reporter des élections législatives anticipées. Chaque parti comprend différemment la nécessité d’avoir un gouvernement disposant des pleins pouvoirs maintenant ou après des élections anticipées. Le contexte politique et la situation particulière de chaque parti sont les facteurs qui séparent ou rapprochent d’un vote de confiance vis-à-vis de l’exécutif.*
* Selon Armand Goșu, maître de conférences en sciences politiques à l’université de Bucarest que nous avons interviewé début décembre, « la solution idéale serait l’organisation d’élections législatives anticipées qui permettent la formation d’une majorité réformatrice, à savoir une coalition autour du Parti Action et Solidarité (PAS, ndlr) de Maia Sandu – présidente pro-européenne élue mi-novembre, ndlr –, et d’un gouvernement déterminé à mettre en place des réformes en faisant équipe avec la présidente. Or, la coalition actuellement au pouvoir, dominée par les socialistes, va tout faire pour reporter ces élections ».
Quels seront les principaux défis économiques et sociaux du prochain gouvernement ?
Le plus grand défi reste le secteur de la santé. Ce domaine, comme beaucoup d’autres d’ailleurs, a trop longtemps été négligé. Le soutien financier alloué à la santé est insuffisant, tout comme les ressources humaines disponibles. Et trop de médecins sont morts durant cette pandémie en république de Moldavie. La situation socio-économique est elle aussi précaire. De nombreuses personnes ont perdu leur emploi, beaucoup d’entreprises ont dû fermer temporairement ou définitivement à cause des contraintes. Il y a donc une énorme insatisfaction sociale à gérer. Les responsables politiques réalisent que pour de nombreux citoyens, les seules options sont soit la protestation, soit l’émigration. Or, la république de Moldavie a déjà perdu près d’un tiers de sa population. Tout défi économique, social et démographique ne peut être surmonté que si nous disposons d’institutions publiques solides, d’une justice équitable et de politiques anticorruption efficaces. À cela s’ajoutent les enjeux de sécurité. Compte tenu d’un contexte politique très instable, Chișinău risque de ne pas participer aux forums internationaux traitant de sécurité régionale. Conséquence, la république de Moldavie pourrait ne plus avoir accès aux plates-formes et outils régionaux où la propagande et la pression exercées par des acteurs externes sont traitées de façon unitaire.
Comment les relations avec la Russie et avec l’Europe vont-elles évoluer ?
Il y a un cadre bilatéral fonctionnel avec l’Union européenne. Il s’agit de l’accord d’association et de l’Accord de libre-échange complet et approfondi (ALECA, ndlr). Les responsables européens sont très sensibles aux événements dans la région, et comprennent qu’il y a des risques et des menaces. Par ailleurs, la république de Moldavie continue d’être soutenue par l’Union européenne dans la gestion de la pandémie. Quant à la relation avec la Russie, elle ne devrait pas trop changer. Moscou ne fait qu’exploiter les faiblesses du pays, les crises politiques persistantes, la dépendance énergétique, pour y ancrer son influence.
Propos recueillis par Matei Martin.