Entretien réalisé le lundi 26 juin dans la soirée, par téléphone et en roumain.
À la veille de la période estivale, le politologue Andrei Țăranu rend compte de la situation politique en Roumanie…
Selon vous, le gouvernement du nouveau Premier ministre Marcel Ciolacu* favorisera-t-il la continuité du gouvernement de coalition PNL-PSD** et la stabilité politique ?
Je doute fort qu’il y ait du changement d’ici au printemps prochain. Et cela pour une raison très simple : comme vous l’avez sans doute vu, dès son arrivée au Palais Victoria, M. Ciolacu a déclaré que si la coalition éclatait et qu’elle perdait la majorité au Parlement, il organiserait des élections anticipées. En d’autres termes, il démissionnerait et imposerait des élections. Pour le PNL, des élections anticipées seraient synonymes de cauchemar. Les libéraux ont perdu leur capacité de ralliement, ils n’ont pas de grand discours anti-corruption et s’appuient surtout sur leurs réseaux dans les régions. Par ailleurs, ils ne pourraient éventuellement quitter le gouvernement que six mois avant l’élection présidentielle, car selon la Constitution, un gouvernement ne peut pas tomber et des élections anticipées ne peuvent être organisées six mois avant l’élection présidentielle. Cela conduit à une situation où, dans la pratique, le PNL est prisonnier du PSD jusqu’à l’année prochaine au moins.
* Suite à la rotation gouvernementale entre le PNL et le PSD, Marcel Ciolacu (PSD) a repris les rênes du gouvernement mi-juin après le mandat de Nicolae Ciucă (PNL).
** Sur les partis mentionnés dans cet entretien :
PNL : Parti national libéral, centre-droit / PSD : Parti social-démocrate, actuellement au pouvoir avec le PNL / USR : Union Sauvez la Roumanie, centre-droit / AUR : Alliance pour l’Union des Roumains, formation nationaliste et traditionaliste.
La montée d’AUR risque-t-elle de modifier la ligne politique de l’exécutif ?
Je ne le crois pas. Ce que fait M. Ciolacu et le PSD en général, c’est copier un « modèle réussi » en Europe centrale et orientale, notamment en Pologne et en Hongrie, de conservatisme social, avec un discours paternaliste basé sur l’Église, la famille et les valeurs traditionnelles, en plus de l’antipathie envers la Russie dans le cas de la Roumanie et de la Pologne. Et c’est, d’autre part, mettre en place une forme d’interventionnisme social, et parfois économique, afin de maintenir la société à flot. En Pologne et en Hongrie, cette façon de faire a eu plus de succès, en particulier parce qu’elle a commencé avant la crise économique. En Roumanie, cette politique a débuté pendant la crise économique, et je ne sais pas dans quelle mesure elle pourra se poursuivre à long terme. Comme on peut déjà le voir dans toutes les actions du Premier ministre Ciolacu, l’idée principale est de maintenir la société aussi calme que possible, et de ne pas avoir de problèmes sociaux. Dans ces conditions, je ne vois pas comment AUR pourrait croître davantage. Par ailleurs, son électorat est extrêmement volatile, il est composé d’éléments très divers. Certains sont religieux, d’autres ultra-nationalistes, anti-avortement, néo-protestants, ou revendiquent une sorte de Trumpisme à la roumaine. Il y a beaucoup de courants au sein d’AUR qui, pour l’instant, ne se rencontrent que dans un discours radical que leur leader (George Simion, ndlr) et les leaders d’image secondaires essaient de structurer. Mais les gens vont bientôt partir en vacances, et souvenez-vous, fin août de l’année dernière, AUR a tenté un coup d’image avec le mariage campagnard de George Simion… Ce fut un échec. Je pense que nous assisterons bientôt à un reflux, à une baisse d’AUR. Et si les politiques économiques de M. Ciolacu fonctionnent, cette baisse se poursuivra jusqu’aux élections de l’année prochaine. AUR devra alors reformuler son discours pour qu’il soit davantage anti-PSD, c’est-à-dire s’aligner sur USR et même le PNL à ce niveau-là, ce qui ne sera pas simple.
Le conservatisme social que vous mentionnez et l’ensemble des politiques économiques que le Premier ministre Ciolacu compte appliquer ont un coût, or le budget de l’État ne peut pas trop se le permettre…
Il ne faut pas oublier que la Roumanie est assise sur une montagne d’argent. Théoriquement, d’ici 2017, le pays peut bénéficier d’environ 80 milliards d’euros. Tout le monde regarde du côté du PNRR – Plan national de redressement et de résilience, dont le montant total atteint 30 milliards d’euros, ndlr –, mais n’oubliez pas que nous disposons aussi de 50 milliards d’euros de fonds de cohésion non remboursables, soit un quart du produit intérieur brut de la Roumanie sur un an. Si les politiciens étaient un peu plus perspicaces, ils utiliseraient davantage et mieux cet argent. De plus, je ne pense pas que la Roumanie souffre d’un problème structurel. Si vous regardez les indicateurs économiques mondiaux, le pays se porte même très bien, sa croissance économique est absolument incroyable au niveau européen et en Europe centrale et orientale. Ceci étant, le souci reste la façon dont cette croissance est redistribuée.
Propos recueillis par Carmen Constantin.