Entretien réalisé le lundi 18 septembre dans la matinée, par téléphone et en roumain.
Le professeur de sciences politiques Andrei Țăranu évoque les dossiers chauds de la rentrée, et décrypte la scène politique roumaine à un an d’élections européennes, locales, législatives et présidentielle…
Quels sont les principaux dossiers de rentrée du gouvernement ?
De fait, il existe un très grand nombre de dossiers en attente, et je me demande s’ils seront tous mis en œuvre ou s’il ne s’agit que de simples ballons d’essai, pour certains en tout cas. Il y a tout d’abord la réforme fiscale, ensuite la loi sur la rémunération unitaire visant a éliminer les inégalités salariales dans le secteur public, et dont on parle depuis des mois ; puis l’élimination ou plutôt la taxation des retraites spéciales en accord avec l’arrêt de la Cour constitutionnelle. Et après, en fonction de tout cela, l’élaboration du budget de l’État 2024, qui sera une année électorale. On traverse donc une période agitée, notamment d’un point de vue économique et financier. Pourtant, les politiques donnent l’impression de tenter d’escamoter ces grands thèmes en se penchant sur des sujets marginaux, cela afin d’éviter d’analyser sérieusement l’impact à long terme de leurs mesures.
La coalition PSD-PNL fonctionne-t-elle ? Et existe-t-il encore un clivage gauche-droite en Roumanie ?
À mon avis, il n’y a jamais eu de gauche et de droite proprement dites en Roumanie ; le PSD n’est pas un parti de gauche, tandis que le PNL n’est plus un parti de droite. Quoi qu’il en soit, ces deux formations semblent s’entendre très bien, trop bien je dirais même. La preuve, elles se préparent à poursuivre leur collaboration y compris après 2024. Toutefois, il y a quelques bémols, des factions de cette alliance sont mécontentes, aussi bien au sein du PSD que du PNL. Mais en fin de compte, cette stabilité ne serait pas mauvaise en soi, les marchés internationaux et les investisseurs s’en réjouissent, car ils savent avec qui ils doivent traiter. Nous nous étions habitués à avoir un nouveau gouvernement tous les quatorze mois en moyenne, ce qui a fait que la vie politique en Roumanie ait été particulièrement sinueuse. Si ce modèle politique se maintient, il pourrait entériner une continuité qui rassure aussi bien à l’extérieur qu’à l’intérieur du pays.
Selon les sondages, la popularité du parti AUR est en hausse, cela vous inquiète-t-il ?
L’ascension de ce parti ne m’inquiète pas, pour l’instant. Tant qu’il est dirigé par George Simion et le groupe qui l’entoure, je ne vois pas de risque. Le danger pourrait naître si le parti venait à être soutenu par des personnalités marquantes, des intellectuels ayant de la traction dans la société, comme ce fut le cas jadis avec la Garde de fer*. On a tendance à parler d’AUR comme d’une formation politique ayant une idéologie claire. Mais en réalité, il s’agit d’un conglomérat de plusieurs courants ; des personnes mécontentes de leur vie qui voteraient pour n’importe quel parti opposé au système actuel, ou encore le courant religieux qui est très puissant dans certaines régions. Les élections européennes de 2024 seront un test pour AUR, et beaucoup dépendra de la famille politique qu’il souhaitera rejoindre… S’il s’agit du groupe des Conservateurs et réformistes, ce ne sera pas très grave, mais s’il rejoint le groupe Identité et Démocratie, c’est-à-dire les souverainistes, les choses risquent de s’aggraver, car AUR profiterait d’une tendance dangereuse qui a le vent en poupe à travers l’Europe.
Propos recueillis par Mihaela Rodina.
* Parti politique roumain, fondé en 1927 sous le nom de Légion de l’archange Michel par Codreanu, d’inspiration ultranationaliste, fasciste et antisémite. Interdite en 1933, elle se reconstitua en 1935 et ses principaux leaders furent exécutés en 1938. Sous le nom de « Mouvement légionnaire », elle joua un rôle de premier plan dans le gouvernement d’Antonescu, de septembre 1940 au début de 1941. Source : larousse.fr
À lire ou à relire, notre premier entretien avec Andrei Țăranu à la veille de la période estivale (« Regard, la lettre » du samedi 1er juillet 2023) : https://regard.ro/andrei-taranu/