Entretien réalisé le lundi 8 avril dans l’après-midi, par téléphone et en roumain.
Sélectionneur de films et codirecteur artistique du Festival One World Romania, Andrei Tănăsescu passe en revue les points forts de l’édition actuelle qui se termine demain dimanche 14 avril…
Beaucoup de documentaires de cette année font écho à l’actualité récente, notamment au conflit israélo-palestinien. En quoi ces films racontent autrement ce que les médias nous disent au quotidien ?
Les films sélectionnés posent un regard différent sur les faits et l’actualité, ils offrent d’autres perspectives sur les réalités mises en avant dans les médias ou sur les réseaux sociaux. Tout d’abord parce que la plupart de ces documentaires s’attachent à envisager les événements dans un contexte plus large afin de permettre au public de mieux comprendre les tenants et les aboutissants d’une situation donnée. Il est fondamental de mettre les choses en perspective, surtout de nos jours, à une époque où les faits sont souvent présentés en dehors de leur contexte. Autre différence par rapport aux médias, le film documentaire s’intéresse en général au point de vue d’un groupe de personnes ou d’une communauté, ce qui renforce la dimension humaine d’une histoire. Les sujets abordés sont hautement délicats, comme effectivement le conflit israélo-palestinien ou la religion. Sans oublier la question du genre, thématique particulièrement importante en Roumanie où la communauté LGBTQ+ est peu visible.
Qu’est-ce qui ressort particulièrement de cette édition, que ce soit en termes de documentaires, de personnalités amenées à participer ou bien en lien avec le public du festival ?
L’édition de cette année a pour titre « Alege! » (Choisis, ndlr). Avec les autres membres de l’équipe, le directeur de l’association One World Romania, Alexandru Solomon, la directrice du festival, Andreea Lăcatus, et ma collègue sélectionneuse Anca Păunescu, ce titre nous a semblé une évidence à l’orée des élections qui vont bientôt avoir lieu en Roumanie mais également dans d’autres pays. Et dans la vie aussi, de façon plus large, il est sans cesse question de choix. D’un autre côté, les films sélectionnés permettent au public de prendre conscience des réalités qui l’entourent, tout en étant un plaidoyer pour la solidarité et la fraternité. C’est d’ailleurs le message du réalisateur Adi Dohotaru dont le premier film – « La mort de Iosif Zagor », ndlr – a ouvert l’édition 2024. En lien toujours avec la sélection, je tiens à préciser que cette année a été particulièrement riche en films issus de régions du monde moins visibles, comme l’Afrique. Et parallèlement aux vingt-cinq films projetés dans le cadre de la sélection officielle se sont rajoutées d’autres activités dont les « Journées des lycéens », leur but étant d’aider les jeunes à mieux comprendre la société dans laquelle ils vivent. Enfin, je suis particulièrement ravi de constater que One World Romania attire un public réellement hétérogène, de tous âges, lequel témoigne aussi d’un profond désir d’implication. C’est fondamental, car selon moi, c’est justement ce type d’attitude qui, sur la durée, a le potentiel d’influencer la société de façon positive.
On entend souvent que la fiction permet de dépasser le réel et d’avoir la capacité de transmettre des messages d’une certaine manière plus intense. En tant que sélectionneur, est-ce également votre avis ?
Votre question me fait penser à la cinéaste belge Chantal Akerman ; elle disait que dans un film de fiction parfait, la réalité doit demeurer visible, tandis que dans un documentaire parfait, c’est la fiction qui doit être perceptible. D’après moi, en tant que curateur, les vingt premières minutes d’une œuvre sont extrêmement importantes, que ce soit pour la fiction ou le documentaire. C’est là que j’observe les différents choix, qu’ils soient artistiques, liés au montage, à la structure ou au rythme du film ; tout cela doit éveiller ma curiosité. D’autant plus lorsque je regarde un film sur un sujet souvent abordé. Le fait de le présenter d’une autre manière ou de choisir une construction originale et moins conventionnelle suscitera mon intérêt, ou pas.
Propos recueillis par Ioana Stăncescu.