Entretien réalisé le lundi 8 avril dans la matinée, par téléphone et en roumain (depuis Brașov).
En septembre dernier, une équipe de spéléologues roumains et étrangers annonçait un nouveau record : la descente jusqu’à 800 mètres de profondeur dans un gouffre situé sous Vârful Grind, dans les monts Piatra Craiului. Informaticien de formation et spéléologue par passion, Alexandru Pologea décrit cet exploit et évoque un engouement en hausse parmi les Roumains pour l’exploration des cavités souterraines…
Parlez-nous d’abord de cette expédition sous Vârful Grind…
Découvert en 1985 et considéré depuis 2019 comme le plus profond du pays, cet aven sous Vârful Grind représente une cavité emblématique pour la spéléologie roumaine. En septembre 2023, lors d’une expédition organisée par les clubs Focuri Vii de Bucarest, Avenul et Silex de Brașov, qui regroupent 46 personnes, nous avons réussi à franchir un siphon – conduit souterrain entièrement noyé, ndlr – se trouvant à une profondeur de 776 mètres et faisant obstacle à la poursuite de la descente du gouffre de Vârful Grind. Cela a impliqué des préparatifs tout au long de l’année, le transport d’une grande quantité de matériel, avant une opération complexe de drainage et d’élargissement du siphon. Nous avons par la suite pu explorer et traverser un conduit vertical de 22 mètres de long, pour aboutir à une profondeur de 800 mètres par rapport à l’entrée. À ce point, que nous appelons terminus, nous avons découvert une nouvelle zone étroite qui bloque le passage. Cette année, nous prévoyons de tenter d’élargir cette zone, et d’aller au-delà. Car il y a de fortes chances que l’aven descende jusqu’à 1000 mètres. La complexité de notre expédition est liée à la difficulté d’accès de l’endroit ; la descente, essentiellement en rappel, ne peut pas se faire en une seule journée. En septembre, nos équipes ont passé plusieurs jours dans un bivouac à moins 540 mètres. À cela se sont ajoutées des précipitations qui menaçaient d’inonder la zone. Alors que de nombreuses équipes ont exploré cet aven depuis 1985, atteindre cette profondeur est un record national mais aussi une énorme joie, un rêve accompli. D’un point de vue scientifique, son exploration nous permet de découvrir des détails sur la tectonique et la structure de la roche de Piatra Craiului. Malgré les difficultés et les risques inhérents, on peut dire que c’est un très joli aven, avec une belle succession de puits verticaux.
La spéléologie compte-t-elle de nombreux adeptes en Roumanie ?
L’activité avait été très suivie avant 1989, avant de décliner. Mais depuis 2010, elle connaît un regain d’intérêt. Les clubs à travers le pays voient de plus en plus de gens s’y intéresser, dont de nombreux jeunes. Les expéditions se sont également multipliées ces derniers temps, de nouvelles cavités et galeries sont découvertes et explorées. D’une activité de niche, la spéléologie s’est ouverte au public. Cet intérêt croissant s’explique également par le fait que la spéléologie est souvent associée à un sport extrême.
Où en est la Roumanie en termes de paysages karstiques ?
Le pays compte entre 8000 et 12 000 cavités explorées, dont la longueur varie de quelques mètres à 50 km. Le karst roumain est très divers, allant d’avens alpins, comme ceux de Piatra Craiului, à des systèmes horizontaux, comme dans les monts Apuseni, par exemple. Avec de belles cavités en termes de morphologie et de formations, la Roumanie dispose indéniablement d’un patrimoine spéléologique remarquable.
Propos recueillis par Mihaela Rodina.