Entretien réalisé le vendredi 2 décembre dernier en début d’après-midi, en visioconférence et en anglais.
Andreea Tănăsescu est présidente et chargée de communication de l’association La blouse roumaine. Tout a commencé par une page Facebook, avant de devenir une plate-forme qui promeut l’artisanat roumain depuis dix ans…
D’où vous est venue la nécessité de créer La blouse roumaine ?
On voulait donner de la visibilité à l’artisanat roumain, un domaine quasi inexistant après la révolution. D’ailleurs, il n’existe toujours pas de législation qui encadre l’artisanat. Pendant la période communiste, il y avait des coopératives d’artisans, avec un système centralisé, qui ont ensuite été supprimées. Après 1989, les Roumains voulaient aller vers l’Ouest, être libres, adopter d’autres styles de vie. Mais j’ai réalisé qu’il y avait toujours cet énorme potentiel en Roumanie, et qu’on pouvait faire renaître l’artisanat. J’ai alors commencé à travailler sur les combinaisons entre artisanat et design contemporain afin de trouver de nouvelles visions, et d’adapter l’artisanat aux besoins actuels. C’était difficile, parce qu’en même temps, il y avait ce boom de la mode « express ». J’étais un peu idéaliste parce que je pensais que des marques s’intéresseraient aux savoir-faire locaux. Mais au début, elles n’ont fait que copier. Nous avons ensuite commencé une campagne en 2017, « Give Credit », à travers laquelle nous demandions à l’industrie de la mode de créditer les artisans roumains. Grâce à cette initiative, les marques sont enfin venues vers nous, comme Fragonard, avec qui nous avons collaboré en 2021 pour créer une collection sur l’artisanat roumain. Désormais, ils comprennent le travail d’un artisan, qui ne travaille pas selon des dates limites trop strictes, avec beaucoup de pression, comme dans les usines. L’artisan doit avoir du temps, un peu d’esprit et d’âme afin de créer un bel objet. Le 1er décembre dernier, nous avons obtenu une victoire : l’art de la blouse traditionnelle avec broderie sur l’épaule (altiță, ndlr), en Roumanie et en Moldavie, a été inclus dans la liste du Patrimoine culturel immatériel de l’Unesco.
Pourquoi posséder des objets issus de l’artisanat est important pour vous ?
D’abord, ils sont beaux, et ensuite, les objets artisanaux ont une énergie. On peut sentir cette énergie déployée par l’artisan. La pandémie a joué un rôle par rapport à ça. On a pu réfléchir aux objets qui nous entourent, au consumérisme et à la numérisation qui envahit nos vies. Nous avons beaucoup de défis ces prochaines années pour protéger ce qui est humain et, pour moi, l’artisanat nous connecte à l’humanité. Je pense que les gens vont avoir de plus en plus envie d’avoir des objets artisanaux. Ça créera une sorte d’équilibre. De plus, l’impact écologique de l’artisanat est moindre ; l’argile pour les céramiques vient de la terre locale, les matériaux sont généralement locaux. Par ailleurs, l’artisanat roumain a ses spécificités car il est vivant, et est encore utilisé dans certaines communautés. La ia, la blouse roumaine, est l’expression de ces communautés, avec des symboles brodés qui reflètent leur vision de la vie, les rites de passage, etc. On y voit l’héritage des cercles de femmes qui se rassemblaient pendant l’hiver, les șezătoare, qui brodaient et discutaient entre elles. C’est là que réside la beauté de l’artisanat.
Voyez-vous naître une nouvelle génération d’artisans ?
Oui, il y a une nouvelle génération, à la fois innovante et inspirée par les traditions, et qui s’est formée en ligne. Ce n’est pas celle des villages, qui apprend de ses parents. Il s’agit aussi de communautés, mais sur les réseaux sociaux. C’est intéressant d’un point de vue anthropologique de voir ce que signifie l’artisanat à l’ère numérique. Maintenant, il faut aussi que ce savoir soit restauré dans les communautés locales et rurales.
Propos recueillis par Marine Leduc.
Note : Grâce à l’association La blouse roumaine, le 24 juin a été instauré comme journée universelle de la blouse roumaine.