Entretien réalisé le jeudi 19 janvier dans la matinée, en français et par téléphone.
En ce début d’année, nous avons de nouveau demandé à Silvia Marton, maître de conférences en sciences politiques à l’université de Bucarest, de faire le point sur la situation politique en Roumanie…
Quels seront les principaux défis politiques en 2023 ?
Tout d’abord, la guerre en Ukraine, dont l’intensité devrait augmenter à partir du printemps. Et dans ce contexte, un premier défi sera d’éviter une crise économique. Pour l’instant, on observe un ralentissement de la croissance économique en Roumanie, en raison notamment de la hausse des prix. Au niveau européen, l’adhésion à l’espace Schengen et l’avancée du dossier OCDE seront suivis de près. Pour ce qui est de la politique intérieure, plusieurs choses… Il est d’abord intéressant de voir que le parti extrémiste AUR* plafonne. Les démarches visant à limiter les actions de cette formation semble fonctionner, jusqu’à un certain point. Par ailleurs, l’influence politique du président Klaus Iohannis se réduit, ce qui n’est pas surprenant. Au cours de leur dernière année de mandat, les présidents ont de moins en moins de poids vis-à-vis de leur propre parti – en l’occurrence le PNL, ndlr –, qui cherche à s’aligner avec de nouveaux dirigeants. Or, le président Iohannis souhaiterait maintenir une certaine continuité, tout comme le Premier ministre Nicolae Ciucă qui n’a aucune légitimité propre au sein du PNL sans le soutien du président. En mai, il est prévu que la coalition au pouvoir change de Premier ministre ; le PSD et le PNL négocient de façon intense cette rotation. Le PSD s’efforce aussi de maintenir les portefeuilles actuels de ses ministres. Certains d’entre eux, comme le ministre des Transports, Sorin Grindeanu, ne veulent pas changer de place au sein du gouvernement. Le PSD fait pression et défie même le PNL, tout en faisant attention à ne pas briser la coalition ni à trop ébranler le Premier ministre Ciucă. Cette question de rotation entre les deux partis au pouvoir connaîtra encore des épisodes conflictuels, mais à mon avis, la coalition y survivra. D’autant que le PSD et le PNL ont tout intérêt à garder le contrôle sur les dirigeants locaux en préparation des élections parlementaires et présidentielle de 2024.
* Sur les partis mentionnés dans cet entretien :
PNL : Parti national libéral, centre-droit / PSD : Parti social-démocrate, actuellement au pouvoir, en alliance avec le PNL / USR : Union Sauvez la Roumanie, centre-droit / AUR : Alliance pour l’Union des Roumains, formation nationaliste et traditionaliste / UDMR : Parti de la minorité hongroise / PMP : Parti Mouvement Populaire, créé à l’initiative de l’ancien président Traian Băsescu.
Jusqu’à présent, quels ont été les succès et les échecs de la coalition au pouvoir ?
Au palmarès des réussites, on peut citer la gestion de l’argent européen et du PNRR. Ce n’est plus un échec, comme ce fut le cas avec tous les gouvernements précédents. On observe d’ailleurs un flux important de fonds et d’investissements. La stabilité politique est un autre succès, bien que le PSD et le PNL semblent avoir une compréhension très limitée de cette stabilité, ce qui soulève des questions sur la qualité de la démocratie en Roumanie. De fait, pour les dirigeants de la coalition, la discipline de parti et le contrôle du parti sur les nominations sont synonymes de bonne gouvernance. De là découle l’un de leurs principaux échecs, à savoir la gestion des problèmes d’intégrité. Il n’y a qu’à voir les nombreux scandales liés au plagiat de thèses de doctorat touchant plusieurs membres importants du gouvernement : l’ancien ministre de l’Éducation, Sorin Câmpeanu, le ministre de l’Intérieur, Lucian Bode, et même le Premier ministre Nicolae Ciucă. Parallèlement, des personnes très peu qualifiées sont nommées à des postes de direction, exemple à l’Institut culturel roumain de Londres. Enfin, dans cette liste des échecs, il y a évidemment la non adhésion à l’espace Schengen. Nous verrons en 2023 si quelque chose change à cet égard.
Comment analysez-vous les stratégies des principaux partis en vue des élections de 2024 ?
Il est clair que le PSD et le PNL veulent maintenir leur coalition après 2024, bien que chacun d’eux tente toujours de se positionner le plus favorablement possible pour les prochaines négociations sur la formation du pouvoir. Le PSD a un potentiel électoral beaucoup plus important, mais il ne veut pas écraser le PNL car il n’aurait pas d’autre partenaire de coalition. Et il devra de toute façon gouverner avec le PNL. C’est la raison pour laquelle les décisions sur qui se présentera à la présidence sont retardées. Personnellement, j’entrevois la possibilité du scénario suivant : l’actuel Premier ministre Nicolae Ciucă à la présidence, et Marcel Ciolacu – actuel président du PSD et de la Chambre des députés, ndlr – au poste de Premier ministre. Le PSD veut continuer à gouverner sans prendre de risques électoraux inutiles. Quant au PNL, il ne peut plus s’allier avec USR, ni avec AUR. À son tour, il est lié de manière ombilicale au PSD. Tant bien que mal, ces deux partis continueront d’éviter les antagonismes, tout en négociant les positions les plus favorables pour chacun d’eux. L’argent des investissements et le PNRR assurent la paix politique entre les trois partis au pouvoir, PSD, PNL et UDMR. De leur côté, USR, Ludovic Orban – ancien président du PNL, ndlr – et le PMP pourraient tenter de former un pôle d’opposition de droite qui ferait pression sur le PNL, et freinerait la montée en puissance d’AUR. Nous verrons si, comment, et quand cela se produira. Quant à la formation AUR, elle continuera d’essayer de capitaliser sur le mécontentement social, mais restera politiquement isolée.
Propos recueillis par Carmen Constantin.