Entretien réalisé le mercredi 21 septembre dans l’après-midi, en roumain et par téléphone.
Andra Ganea est interne à l’Institut psychiatrique de Socola (département de Iași). Elle s’intéresse notamment à la « nomophobie », la dépendance au smartphone…
Quels sont les signes d’une addiction au smartphone et comment faire pour y remédier ?
La principale caractéristique de l’addiction au téléphone est son utilisation incessante, parfois même pendant la nuit, accompagnée d’un sentiment d’anxiété dès que le dispositif n’est plus à portée de main. La « nomophobie » – appellation récente, contraction de « no mobile phobia », ndlr –, comme on appelle désormais cette addiction au portable, a un impact majeur sur la qualité de nos vies ; elle diminue le rendement à l’école ou au travail, elle perturbe la qualité du sommeil, elle isole les personnes qui en souffrent. Les études montrent qu’au niveau cérébral, la dépendance au portable provoque les mêmes modifications que celles dues aux jeux de hasard ou à certaines substances psychoactives. Même si cette addiction ne figure pas encore sur la liste officielle des dépendances comportementales en fonction desquelles le psychiatre établira un diagnostic, je pense que ça va venir. En attendant, les spécialistes se contentent de promulguer certains conseils : ne pas laisser le portable dans la chambre où l’on dort, ne pas le regarder quand on est au volant, ne pas vérifier ses messages toutes les deux minutes, etc.
Quelles sont les conséquences d’une utilisation précoce du smartphone sur le comportement des enfants ?
Dès le départ, il faut préciser que les enfants ne devraient pas avoir accès aux écrans avant l’âge de cinq ans, notamment à cause de la lumière bleue qui risque d’affecter leur vue. Malheureusement, la dépendance au smartphone s’installe de plus en plus tôt, elle inhibe la créativité, elle nuit aux rapports avec la famille… On ne discute plus, on vérifie sur Google. Les enfants arrêtent d’interroger leurs parents et préfèrent chercher seuls les réponses sur Internet. Cela les entraîne dans un faux processus de mûrissement car, à force d’être exposés à toutes sortes d’informations, les enfants finissent par se croire plus adultes qu’ils ne le sont en réalité. Par ailleurs, en Roumanie en tout cas, le portable est souvent autorisé en salle de classe, ce qui fait que la plupart des enfants souffrent d’un déficit de concentration, et leur rendement est en baisse.
Êtes-vous inquiète à terme vis-à-vis de l’impact sur le cerveau de cette numérisation généralisée et quelque peu poussive des sociétés ?
Je suis adepte des bénéfices de la numérisation, des progrès qu’elle a entraînés, ne serait-ce que dans le domaine médical. Il suffit de penser à tous ces robots performants qui sauvent des vies. En revanche, il est inquiétant de voir la manière dont le portable commence à remplacer toutes nos activités sociales : faire les courses, se rendre à la banque, interagir avec les gens. À force de passer trop de temps dans le virtuel, les gens s’isolent, ils deviennent solitaires et commencent à souffrir de toutes sortes d’angoisses et d’anxiétés ; ils stressent de parler à des inconnus, de prendre la parole en public, etc. Quand je pense au smartphone, j’imagine une sorte de montagnes russes. Tantôt il nous élève, tantôt il nous plonge dans un gouffre. La solution pour lutter contre cette dépendance ? En être conscient, et se servir de son portable de façon raisonnable et équilibrée.
Propos recueillis par Ioana Maria Stăncescu.