Entretien réalisé le jeudi 15 septembre dans la soirée, par téléphone et en roumain.
Florin Dumitrescu, anthropologue, dédie ses recherches aux marchés alimentaires depuis plus de 30 ans. Alors que l’inflation atteint des records en Roumanie, il explique les évolutions majeures et les dangers qui guettent ces lieux hauts en couleurs à Bucarest…
Quel est aujourd’hui l’état des marchés dans la capitale roumaine ?
Après la chute du communisme, beaucoup d’entre eux ont disparu en raison de l’urbanisation galopante et l’arrivée des supermarchés. Si ce phénomène est aujourd’hui à peu près stabilisé, on peut noter que les marchés de Bucarest ne valorisent plus les produits locaux malgré un bassin agricole tout proche de la capitale. Les vendeurs présents sur les marchés viennent désormais de plus loin. Ce sont aussi souvent des intermédiaires, des grossistes. Certes, cela représente une opportunité pour la diversification des produits, mais aussi une menace pour les producteurs locaux. Cette tendance s’accompagne d’une modernisation des infrastructures des marchés avec de grands investissements, suite auxquels les taxes pour obtenir une place de vendeur deviennent hors de prix pour de nombreuses personnes qui sont donc chassées de ces marchés.
Quel est l’impact de ces changements sur les circuits alimentaires ?
En premier lieu, les produits sont plus chers et ont tendance à s’uniformiser. On retrouve ainsi des fruits et légumes similaires à ceux des supermarchés. Ce qui faisait la particularité des marchés, leur avantage comparatif pourrait-on dire, se dissout. En Roumanie qui plus est, nous n’appliquons pas la législation européenne qui interdit l’implantation des super et hypermarchés dans l’enceinte même des villes. La proximité n’est donc même plus un atout pour les marchés. Mais je crois que la problématique la plus importante est humaine. Il faut penser les marchés comme des lieux de socialisation, particulièrement pour les personnes âgées. Elles ne viennent pas forcément pour acheter mais pour voir leurs amis et discuter. Pour les enfants également, c’est une expérience quasi éducative. Il ne faudrait pas considérer les marchés comme de simples lieux de distribution et d’approvisionnement alimentaire. Les autorités doivent saisir ce rôle social des marchés et adapter leurs politiques publiques.
Face à la croissance exponentielle des prix des aliments de base, les marchés pourraient-ils connaître un regain d’attention ?
Effectivement, l’inflation pourrait entraîner une nouvelle fréquentation des marchés car les prix sont de manière générale plus bas que dans les supermarchés. Mais cela n’est vrai que si l’on arrive à maintenir les producteurs locaux et les fruits et légumes de saison. Malheureusement, l’homme moderne a pris l’habitude d’être seul face aux produits, et il a perdu celle de discuter avec les producteurs. Les marchés appartiennent aux hommes et femmes qui les font, c’est aussi une responsabilité des citoyens de les faire vivre car il en va de la survie de familles de petits producteurs, mais aussi de l’esprit de ces lieux qui sont, selon moi, un patrimoine culturel de grande importance.
Propos recueillis par Hervé Bossy.