Entretien réalisé le jeudi 4 avril en fin de matinée, par téléphone et en roumain.
Radu Gănescu est à la fois président de la Coalition des organisations de patients atteints de maladies chroniques (Copac) et de l’Association des personnes souffrant de thalassémie majeure (maladie sanguine). Il évoque ici le problème de l’accès aux médicaments en Roumanie…
Quels types de médicaments manque-t-il actuellement ?
De façon générale, il s’agit de médicaments essentiels, notamment ceux prescrits par le médecin traitant pour les maladies chroniques, et qui sont peu chers. Citons, par exemple, Euthyrox, un antithyroïdien à base de lévothyroxine, ou encore les statines utilisées notamment pour baisser la cholestérolémie. Mais il y en a beaucoup d’autres. C’est la politique du prix le plus bas pratiquée en Roumanie qui a mené à leur retrait du marché, le coût de fabrication étant supérieur au prix de vente. À cela s’ajoute la distribution intracommunautaire des médicaments qui fait que ces produits peuvent tout aussi bien se retrouver en Allemagne où, au lieu d’être vendus 1 euro, ils seront commercialisés quinze fois plus cher. Au final, ni le fabricant roumain, ni le fabricant étranger ne sont incités à vendre chez nous. Ce n’est pas un marché attractif, notamment pour les médicaments nouveaux dits « innovants ». Mais il y a d’autres facteurs, comme la distribution. Si Bucarest compte de nombreux dépôts de médicaments et des pharmacies, d’autres zones du pays plus éloignées des centres urbains sont très mal pourvues. Cela contraint les gens à se déplacer, d’autant qu’une avancée législative relativement récente a mis fin à l’obligation de s’approvisionner en médicaments selon son adresse postale. Toujours est-il qu’il faut trouver l’endroit où le médicament est vendu, et c’est très fluctuant. Les médicaments difficiles à obtenir sont généralement ceux qui n’ont pas d’alternative sur le marché, et dont les stocks sont en flux tendu. Or, beaucoup de médicaments n’ont pas d’alternatives, notamment pour les maladies chroniques, ce qui peut engendrer des complications en termes de pathologie. Mais le problème ne date pas d’hier ; ces quinze dernières années, plus de 2000 médicaments ont disparu du marché roumain. Et la pandémie n’a pas arrangé les choses.
Pourquoi cette politique du prix le plus bas ?
En soi, l’intention n’est pas mauvaise. Le problème réside dans l’application de cette politique car nous sommes victimes d’un paradoxe ; d’un côté, nos médicaments sont parmi les moins chers de l’UE, de l’autre, certains sont souvent introuvables. La faute à leur prix de vente et à leur faible rentabilité. Et puis il y a les taxes, qui existent dans tous les pays, comme la taxe « clawback » –montant versé à l’État par les fabricants suite aux bénéfices réalisés sur la vente des médicaments remboursés, ndlr – qui s’élève chez nous à 25% pour les médicaments innovants, à 20% pour les génériques, et à 15% pour les fabricants qui produisent en Roumanie. C’est trop par rapport aux marges très faibles que j’évoquais. Conséquence, les patients font des pieds et des mains pour trouver certains médicaments. Heureusement, il existe des associations spécialisées dans certaines pathologies, elles aiguillent les malades. Parfois, un médicament est absent d’une région entière, d’autres fois c’est toute une chaîne de pharmacies qui en est privé. Sans parler des matières premières nécessaires à la fabrication qui peuvent elles aussi manquer. Le site de l’Agence nationale des médicaments mentionne les produits qui ne sont plus commercialisés ou ceux qui se trouvent difficilement. Les gens eux-mêmes contactent l’institution pour l’en informer ; ensuite il faut vérifier les réseaux de fabrication et de distribution afin de bien jauger la situation. Si un médicament n’est plus disponible et qu’il n’a pas d’alternative, il n’y a pas d’autres solutions que de l’acheter dans un autre pays. Plus cher, évidemment.
Selon vous, quelles mesures devraient être prises ?
L’Union européenne a décidé que d’ici mi-2024, tous les pays européens devaient disposer d’une liste critique de médicaments essentiels, cela afin d’éviter les pénuries qui pourraient survenir en raison d’un manque de matières premières et de substances actives. C’est un début de solution qui devrait a priori limiter l’impact des manquements de cette distribution intracommunautaire. Mais il est aussi fondamental de mieux tenir à jour nos stocks qui sont théoriquement surveillés par le ministère de la Santé et l’Agence nationale des médicaments. Il y a certes des retours de la part des distributeurs et des pharmacies, mais il faudrait davantage de vérifications. Enfin, il faut changer cette politique de bas prix pour redevenir attractif, et que des sociétés viennent à la fois fabriquer mais aussi vendre dans notre pays.
Propos recueillis par Benjamin Ribout.