Entretien réalisé le jeudi 7 novembre dans l’après-midi, par téléphone et en roumain.
L’industrie du textile laisse une empreinte carbone de 1,2 à 3,3 milliards de tonnes de CO2 par an, ce qui représente 2 à 8% des émissions de gaz à effet de serre au niveau mondial*. Dans cet échange, le créateur de mode Alexandru Mănescu se penche sur les défis d’un secteur appelé à évoluer…
En quoi consiste l’impact négatif de l’industrie du textile sur l’environnement ?
De nos jours, l’habillement est en effet l’un des secteurs les plus destructifs. Son impact négatif est d’abord généré par les tissus utilisés, dont la majeure partie n’est pas recyclable et engendre une quantité énorme de déchets. Je pense notamment à l’utilisation excessive du polyester et d’autres tissus synthétiques qui sont toxiques, et dont la production s’accompagne de fortes émissions de carbone. Ces tissus ne sont pas biodégradables et contiennent des micro-plastiques qui se répandent dans l’atmosphère et dans l’eau, sont ingurgités par les animaux et les hommes, polluent les mers et les océans. Le polyester représente clairement un risque pour la santé. Or, actuellement, plus de 60% de la production mondiale de textiles est basée sur cette fibre. Par ailleurs, n’oublions pas les abus visant les animaux ; on continue de les tuer pour leur peau ou leur poil, et c’est une autre conséquence terrible de cette industrie. Autre impact nocif… L’exploitation de la main-d’œuvre, avec des pratiques encore et trop souvent épouvantables. Une partie importante des employés de ce secteur travaillent dans des conditions indignes ; ils sont mal payés, parfois sans contrat légal, et bénéficient rarement de congés. Ces dernières années, s’il y a eu quelques progrès, de nombreux cas d’esclavage et d’emploi d’enfants ont été recensés. Enfin, le troisième facteur nuisible est la surconsommation. On trouve sur le marché de plus en plus de produits de mauvaise qualité destinés à n’être portés qu’une poignée de fois avant d’être jetés en vue d’un nouvel achat. En résumé, on produit énormément de vêtements et on en jette tout autant.
* Pour aller plus loin, lire cet article des Nations unies – Centre régional d’information pour l’Europe occidentale – sur l’industrie du textile (21/05/24).
Que proposent les défenseurs de la « mode durable » ?
Pour chacun des facteurs négatifs évoqués, il y a des remèdes. Tout d’abord en ce qui concerne le tissu. Il existe des fibres naturelles certifiées qui garantissent que le produit est conforme en termes d’origine, de fabrication et de teinture. On parle ici de coton et de lin bio, ou encore de laine organique obtenue via des pratiques éthiques. La qualité du tissu est essentielle, le vêtement sera alors plus durable. La mode éthique doit également s’assurer qu’elle travaille avec des ateliers et des fabriques ayant une politique d’emploi correcte, offrant des salaires décents et respectant les horaires de travail. Enfin, le secteur doit aider le consommateur à adopter un comportement responsable, lui expliquer en quoi consiste la qualité d’un produit et quelle devrait être sa durée de vie. Un fabricant éthique est responsable de l’ensemble du processus, qui va de la confection d’un vêtement à sa vente et à l’après-vente. Que se passera-t-il avec le vêtement lorsqu’il ne sera plus porté ? Pourra-t-il être recyclé ? Est-il biodégradable ? Certains fabricants collectent les produits à la fin de leur cycle de vie pour s’assurer qu’ils ne deviennent pas des déchets et soient réutilisés. C’est ce qu’on appelle la mode circulaire. Cela permet de stopper cette course folle à la production de nouveaux tissus.
Tout cela vient avec un prix. Les consommateurs sont-ils prêts à le payer ?
Le coût de ces produits durables est en effet plus élevé, conséquence non seulement de la manière responsable dont ils sont fabriqués mais aussi de leur qualité. Il y a un adage que j’aime beaucoup, quand quelqu’un dit qu’il est trop pauvre pour s’acheter des vêtements de mauvaise qualité. Un produit de qualité peut être plus cher au moment de l’achat, mais revient effectivement moins cher lorsqu’on prend en compte le nombre de fois qu’on le porte. Le « cost per wear », soit une manière de comptabiliser l’amortissement d’un vêtement, est une formule plus correcte que le simple prix à l’achat. De fait, le marché de la mode durable est en expansion constante. Les consommateurs sont de plus en plus ouverts à ce concept, ils ont juste besoin d’être mieux informés. On est souvent tenté de dépenser de l’argent sur des traitements et des produits cosmétiques chers, en oubliant que les vêtements représentent eux aussi une forme de soin pour notre peau. Car la mode durable a un impact positif non seulement sur l’environnement et la planète de façon générale, mais aussi sur nous-mêmes.
Propos recueillis par Mihaela Rodina (07/11/24).