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Entretien réalisé le lundi 29 janvier dans l’après-midi, par téléphone et en roumain.


Adina Marincea s’est penchée sur la consistance du discours nationaliste du parti d’extrême droite roumain AUR, notamment dans le cadre de son post-doctorat. Chercheuse à l’Institut Elie Wiesel pour l’étude de l’Holocauste en Roumanie, elle parle ici des spécificités de l’extrême droite roumaine, et de son histoire…

Pouvez-vous revenir sur le contexte de l’apparition de l’extrême droite en Roumanie ?

Je prendrais d’abord comme point de référence la Grande Union du 1er décembre 1918 qui consacra la diversité ethnique et religieuse de la population. C’est à ce moment-là que la communauté juive a nettement augmenté sur un territoire élargi, suscitant d’ailleurs chez elle des craintes de dissolution. Ceci étant, les sentiments nationalistes et xénophobes datent du 19ème siècle, quand les Juifs commencent à être discriminés. Dès 1893, Alexandru C. Cuza, le père de l’antisémitisme radical roumain, propose des lois xénophobes visant à exclure ou à réduire le nombre d’élèves juifs. Les premiers groupes antisémites datent aussi de cette époque, tout comme l’apparition de publications de la même veine, à l’image de la revue Neamul românesc fondée par Nicolae Iorga en 1906. En 1910, ce dernier et Cuza fondent ensemble le Parti nationaliste-démocrate, une formation ultra nationaliste et antisémite qui prévoit notamment l’élimination des Juifs de la vie sociale et économique. Mais pour revenir à ce que je mentionnais précédemment, c’est la Grande Union de 1918 qui marque véritablement l’institutionnalisation d’un programme nationaliste. Dès lors, l’antisémitisme est cultivé au sommet de l’État. Les nombreux groupes ultra nationalistes antisémites en place précèdent l’apparition du Mouvement national fasciste en 1920. Il y a aussi des mouvements étudiants nationalistes d’où émerge la figure de Corneliu Zelea Codreanu, lequel créera plus tard la Légion de l’archange Michel, organisation nationaliste d’extrême droite renommée plus tard Garde de fer. Les organisations antisémites sont légitimées et soutenues par des personnages importants au sein même de l’appareil d’État. Avec une propagande efficace, laquelle a contribué à faire en sorte que la justice ne fonctionne pas au moment où les assassinats politiques commencent, une justice légitimant la violence antisémite et même les meurtres dans une relative impunité. Tout cela a jeté les bases de l’Holocauste avec la déportation des Juifs en Transnistrie et leur extermination. À mon sens, la spécificité roumaine, par rapport au nazisme notamment, relève du fait que ce mouvement antisémite a été très fortement ancré dans la foi et l’orthodoxie.

Comment ces idées survivent-elles durant le communisme ?

Bien que les procès des légionnaires, des criminels de guerre et des fascistes aient commencé en 1945 et se soient poursuivis jusqu’au début des années 1950, l’antisémitisme et certaines facettes du fascisme de l’Entre-deux-guerres n’ont pas complètement disparu et sont même réapparus – en particulier l’antisémitisme. Le rapport final de la Commission Elie Wiesel mentionne plusieurs exemples qui le confirment. Ainsi, en juillet 1945, le bureau régional communiste de Iaşi essaie d’empêcher la commémoration du Pogrom de Iaşi. Et même durant le procès du maréchal Antonescu, il y a eu une déformation de la nature profondément antisémite des crimes commis pendant l’Holocauste. En outre, tous les légionnaires n’ont pas été condamnés, certains intègrent même le parti communiste. Sans oublier qu’entre 1948 et 1952, ce même parti communiste a mené une politique anti sioniste, et a persécuté les Juifs avec des arrestations conduisant à des procès contre des dirigeants sionistes accusés d’être des nationalistes pro-israéliens, et donc de trahir les intérêts de la Roumanie communiste. Plus tard, sous Ceauşescu, cela a mené à leur autorisation d’émigrer en Israël moyennant finances. C’est d’ailleurs sous Ceauşescu qu’une sorte de réhabilitation d’Antonescu commence à voir le jour. En définitive, les bases du négationnisme post-communiste et la réhabilitation des figures fascistes comme le maréchal Antonescu ont bel et bien été jetées dès le début de la période communiste.

Que se passe-t-il à la chute du régime ?

Le mouvement réapparaît juste après 1989 grâce aux légionnaires encore en vie, en Roumanie ou en exil. Ces gens sont abondamment publiés. Leurs descendants contribuent aussi à entretenir leur culte, notamment en créant des fondations très actives encore aujourd’hui. Il s’agit de les réhabiliter en faisant de certains des martyrs voire des héros de la résistance anti-communiste, tout en laissant volontairement de côté leur activité antisémite. Dès 1990, la revue România Mare voit le jour, suivie l’année d’après par le parti du même nom. Autre publication importante : Vatra Românească, qui a joué un rôle prédominant dans les violences inter-ethniques de Târgu Mureş dans les années 1990. L’un de ses leaders, Ion Coja, est d’ailleurs toujours actif. Il n’est pas le seul, il y a tout un écosystème qui œuvre notamment pour la réhabilitation du maréchal Antonescu. L’assassinat de Corneliu Zelea Codreanu fait aussi l’objet d’une commémoration annuelle depuis 1993. S’en charge, entre autres, la fondation Ion Gavrilă Ogoranu qui fait de la propagande néo-légionnaire et organise de nombreux événements dont certains ont lieu en plein centre de Bucarest, sous couvert d’hommage à la résistance anti-communiste. Il y a d’ailleurs une journée officielle, le 14 mai, lorsque des partisans défilent en arborant des portraits de légionnaires, et en effectuant le salut nazi devant un parterre composé de certains sénateurs AUR. Tout cela ne pose aucun problème. Ajoutons que ces mouvements font tout pour intégrer leur propagande légionnaire dans les écoles en omettant volontairement sa dimension antisémite et criminelle. Ils se victimisent au passage en disant qu’ils sont persécutés par les descendants des communistes. Au final, le plus surprenant est la continuité historique des idées fascistes de l’Entre-deux-guerres jusqu’à aujourd’hui. Tout comme la réticence des autorités à punir ceux qui nient l’Holocauste en public et s’alignent avec les théories révisionnistes.

Propos recueillis par Benjamin Ribout.

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