Entretien réalisé le dimanche 26 novembre dans l’après-midi, par téléphone et en roumain.
Le réalisateur Vlad Petri nous emmène dans les coulisses de son dernier film « Între revoluții » (Between Revolutions), prix FIPRESCI à la Berlinale 2023, un docu-fiction racontant l’histoire de deux étudiantes – roumaine et iranienne – qui se lient d’amitié dans la Roumanie communiste avant de traverser les soubresauts des révolutions ayant secoué leurs pays respectifs…
Comment l’idée du film est-elle née ?
C’est à la suite de discussions que j’ai eues avec ma mère, sur la période quand elle était étudiante en médecine à Cluj. Je voulais en savoir plus sur sa vie à l’époque, sur ses collègues, dont certains étaient originaires du Moyen-Orient. J’étais surtout intéressé par la situation des étudiants venus de pays non-alignés – c’est-à-dire neutres vis-à-vis des deux blocs communiste et occidental durant la guerre froide, ndlr –, la Roumanie elle-même en étant un, et par les échanges entre des pays que l’on pourrait décrire comme marginaux. Ensuite, j’ai consulté des archives d’images et des documents, avant de lancer ma collaboration avec l’écrivaine Lavinia Braniște qui a imaginé des lettres entre deux jeunes femmes. Ces personnages sont construits comme un puzzle, et représentent l’expérience commune de femmes roumaines et iraniennes. Ce film se situe donc à la frontière entre fiction et documentaire.
Pourquoi un personnage iranien ?
Ce choix s’explique par mon intérêt pour des révolutions vues comme des séismes et notamment pour la révolution iranienne de 1979, née de rêves et d’un vrai désir de changement. L’Iran a été le théâtre d’un mouvement populaire auquel ont participé énormément de gens, des jeunes et des vieux, des intellectuels et des ouvriers, en proie à une euphorie incroyable, mais qui a été confisqué par les islamistes. J’étais notamment curieux de savoir ce qui avait changé dans la vie des femmes de là-bas.
Comment avez-vous obtenu les images d’archives provenant de ce pays ? Et avez-vous reçu un retour de la part d’Iraniens qui ont pu voir le film ?
Je cherchais des images produites dans l’Iran islamiste et j’ai été heureux de trouver une personne prête à nous aider, un coproducteur et consultant qui a dû prendre des mesures de précaution vu les risques encourus par ceux travaillant avec des occidentaux ; la Roumanie étant membre de l’UE, elle est d’une certaine manière un pays ennemi. Tout cela a représenté un processus long et compliqué, la production du film s’étant étalée sur quatre ans. Pour ce qui est des images de Roumanie, elles proviennent du studio Alexandru Sahia. Si notre pays a beaucoup changé depuis la période communiste, en Iran le même régime est au pouvoir et les images de l’époque sont toujours d’actualité. Je pense notamment aux protestations de l’année dernière, au fait que les femmes sont à nouveau descendues dans la rue pour demander le respect de leurs droits, comme en 1979, lorsqu’elles luttaient contre le port obligatoire du hijab (foulard enveloppant les cheveux, ndlr). C’est comme si ces images parlaient plus du présent que du passé. De fait, il est intéressant de voir comment un film peut évoluer en fonction de l’actualité et du contexte politique. En Iran, « Între revoluții » ne peut pas être montré officiellement mais il a été vu lors de projections clandestines, privées. J’ai reçu beaucoup de réactions, y compris de la part de jeunes qui m’ont remercié pour leur avoir donné la possibilité de voir leur histoire. Mais le film va au-delà des frontières des deux pays, il s’agit d’une histoire universelle. Les gens se sentent proches des deux personnages, ils pensent à leurs propres révolutions échouées, à leur histoire mais aussi à des événements ayant marqué leur vie personnelle.
Propos recueillis par Mihaela Rodina.
Note : À Bucarest, « Între revoluții » passe ce samedi et demain dimanche à 15h au cinéma City Cotroceni.