Entre désespoir et traitements, la procréation médicalement assistée (PMA) reste souvent l’unique solution pour les couples désireux d’avoir un enfant. Selon les chiffres de la Société européenne de reproduction humaine et d’embryologie, près de 1,5 million de fécondations in vitro (FIV) sont pratiquées chaque année dans le monde, dont un tiers en Europe. La plupart des Etats européens ont fini par assumer les frais de ce traitement. Tel n’est pas le cas en Roumanie où le ministère de la Santé a décidé d’abandonner, au bout de deux ans de fonctionnement et sans explication, son programme de fécondation in vitro. Et ce malgré des résultats encourageants.
9h30, un vendredi matin. Dans le petit laboratoire de fécondation in vitro de l’hôpital public d’obstétrique et de gynécologie Panait Sârbu de Bucarest, l’embryologiste Marilena Băluţă scrute son microscope d’un œil attentif. Au bout de quelques minutes, son verdict enthousiasme toute l’équipe… « Six, j’en ai trouvé six ! ». Une fois obtenues suite à une ponction folliculaire réalisée le matin même en bloc opératoire, les six ovocytes seront bientôt mises en contact in vitro – reproduction en éprouvette – avec des spermatozoïdes afin d’obtenir des embryons déjà fécondés et les transférer ensuite dans l’utérus de la mère.
La patiente est une femme de 33 ans qui depuis trois ans déjà s’efforce, sans succès, d’accomplir son désir de maternité. Tout va bien tant du côté de son partenaire que du sien ; pourtant, ils n’arrivent pas à avoir d’enfant par voie naturelle. « C’est ce qu’on appelle une infertilité de pathologie inexpliquée, et dans ce cas, la fécondation in vitro s’impose », explique Marilena Băluţă.
La première FIV de Roumanie a eu lieu en 1996, à Timişoara. Depuis, le nombre de bébés–éprouvette a augmenté en parallèle avec celui des couples infertiles. Les statistiques de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) montrent qu’au niveau européen, un couple sur six a des difficultés pour procréer. « Les causes sont multiples, affirme Laura Dracea, spécialiste en fertilité et reproduction humaine assistée et directrice de la clinique Gynera de Bucarest. A part les différentes infections des voies génitales, notons aussi les troubles d’ovulation, l’endométriose chez la femme, le sperme non fécondant chez l’homme, l’obésité, le stress, et surtout l’âge maternel avancé qui entraîne la diminution de la réserve ovarienne, et donc l’impossibilité d’être enceinte par voie naturelle. »
Définie par l’OMS comme une maladie du système reproductif, l’infertilité a fait en 2008 l’objet d’une résolution du Parlement Européen par laquelle les Etats membres se voient recommandés d’assurer l’accès aux soins des couples en difficulté de procréer. Tour à tour, les gouvernements s’y sont conformés en acceptant de couvrir les frais des FIV. De son côté, la Roumanie faisait la sourde oreille en refusant de prendre en charge ce type de soin. « Beaucoup de couples étaient alors contraints de vendre leur voiture ou même leur appartement pour se procurer l’argent nécessaire aux traitements », se rappelle Nicoleta Cristea Brunel.
« La Hongrie rembourse intégralement cinq procédures de fécondation in vitro, la Bulgarie trois, tout comme la Pologne, malgré l’opposition dans un premier temps de l’Eglise catholique ». En Roumanie, la FIV n’est plus prise en charge.
Mariée à un Français et résidant en France, elle assistait impuissante au calvaire des couples roumains, tandis que dans son cas, la Caisse d’assurance maladie française avait intégralement couvert les frais d’opération. « En Roumanie, pour recevoir, il faut toujours demander. Or, personne n’avait osé remédier au désespoir de tous ces couples. » Appuyée par plusieurs Roumaines souffrant d’infertilité, Nicoleta a alors décidé de mettre sur pied en 2009 l’Association SOS Infertilitatea (SOSI).
Ensemble, elles ont commencé par lancer une pétition afin que les autorités reconnaissent l’infertilité comme étant une maladie, et agissent en conséquence. Près de 5000 signatures furent recueillies et transmises au ministère de la Santé. Mais ce ne sera que trois ans plus tard, en 2011, que les autorités roumaines accepteront enfin, sous la pression de la société civile et des médecins, de mettre en place un premier sous-programme national de fécondation in vitro et de transfert d’embryons permettant aux couples infertiles de se voir rembourser partiellement une seule tentative de FIV.
L’Etat s’engageait donc à aider les couples en incapacité de procréer par voie naturelle et respectant certains critères – dont notamment un âge maternel en dessous de la quarantaine – avec une enveloppe de 1200 euros pour une seule tentative de FIV, plus 300 euros de bonus pour la clinique en cas de naissance. « Mais vu que le pourcentage de réussite d’une FIV est estimé à seulement 30%, la plupart des couples sont forcés de répéter le traitement plusieurs fois, et les coûts en Roumanie vont de 1200 à 4000 euros suivant la clinique et le diagnostic », souligne Alina Burca Ponta.
Après avoir financé une première fécondation in vitro et plusieurs inséminations artificielles par le biais d’un crédit bancaire, cette jeune femme d’Oradea était sur le point d’abandonner… « On avait déjà du mal à joindre les deux bouts au moment où le ministère a lancé son programme. J’en ai parlé à mon mari et on a décidé d’en profiter et d’essayer une dernière fois. Et on a réussi. » Ses jumeaux figurent parmi les quelques 300 bébés mis au monde dans le cadre du sous-programme, selon les données de l’Association SOSI.
Espoir déchu
Des résultats optimistes qui rendent inexplicable la décision du ministère de la Santé de laisser tomber le sous-programme à partir de 2013. « Il est vraiment triste de constater que pour des raisons financières, pas mal d’enfants ne naîtront pas. Il suffit d’une analyse à long terme pour mettre en évidence les bénéfices d’un appui financier accordé par l’Etat à la procréation médicalement assistée », soutient la gynécologue Laura Dracea de la clinique Gynera.
A noter qu’en France, où la sécurité sociale prend en charge quatre cycles complets de FIV, quelque 22.000 bébés sont issus chaque année d’une PMA. De son côté, la Roumanie assiste impuissante à la baisse de son taux de fécondité (voir encadré), tout en restant parmi les derniers pays d’Europe où la FIV n’est plus prise en charge. « La Hongrie rembourse intégralement cinq procédures de fécondation in vitro, la Bulgarie trois, tout comme la Pologne, malgré l’opposition dans un premier temps de l’Eglise catholique », s’insurge Elena Filip Miclea de SOS Infertilitatea.
« Le sous-programme a bénéficié d’un tout petit budget, un million d’euros par an », lance à son tour Nicoleta Cristea Brunel, qui précise que le taux de réussite a totalement répondu aux exigences du ministère. « On ne connaît pas les raisons de cette décision que l’on déplore puisque, crise oblige, pas mal de couples ayant des chances réelles de procréer ont dû se résigner et rester sans enfant », ajoute la gynécologue Anca Moisa, coordinatrice du sous-programme national de FIV à l’hôpital Panait Sârbu.
De leur côté, les autorités se sont refusées à tout commentaire, s’engageant dans un communiqué à « examiner la possibilité de reprendre le financement ». Sans préciser de date. Certes, il existe plusieurs centres privés de reproduction médicalement assistée, mais seulement deux hôpitaux publics spécialisés dans la PMA où du moins les consultations sont gratuites, la maternité Panait Sârbu de Bucarest et l’Hôpital départemental de Cluj.
« Conséquence, les couples roumains qui en ont les moyens tentent leur chance à l’étranger, à Vienne en Autriche, ou à Szeged en Hongrie, où les tarifs sont comparables à ceux pratiqués chez nous dans le privé, mais l’expérience du personnel médical y est souvent supérieure. Bien que le ministère de la Santé affirme reconnaître l’importance de l’infertilité, on souffre d’un immense vide juridique. En Roumanie, les femmes ne peuvent prendre aucun jour de congé pour subir une FIV », déplore Elena Filip Miclea de SOSI.
La gynécologue Laura Dracea conclut que « l’infertilité entraîne aussi de la dépression et de forts troubles psychologiques. Malheureusement, l’incapacité d’un nombre croissant de couples à concevoir semble être l’un des derniers soucis des autorités ».
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Taux en berne
Avec seulement 1,3 enfant par femme en 2013, le taux de fécondité – rapport entre le nombre de naissances durant une année et le nombre de femmes en âge de procréer (15 à 49 ans) –a fortement baissé ces vingt dernières années en Roumanie, atteignant son niveau le plus bas depuis 1990. En Europe, l’année dernière, le taux de fécondité était de 1,6 enfant par femme – et de 2,5 enfants par femme dans le monde. A noter que pendant l’époque communiste, suite aux politiques anti-avortement de Nicolae Ceauşescu, les femmes roumaines accouchaient en moyenne de 3 à 4 enfants.
Ioana Stăncescu (mai 2014).