Comment se porte l’économie bulgare ? Petit tour d’horizon avec Peter Ganev, analyste à l’Institut for Market Economics basé à Sofia.
Regard : Comment décririez-vous en quelques mots la situation économique de la Bulgarie ?
Peter Ganev : Je vais essayer de faire court, avec donc des raccourcis… L’économie bulgare connaît une croissance régulière d’environ 4% depuis maintenant plusieurs années, et elle devrait pouvoir garder ce rythme pendant les deux ou trois ans à venir, normalement. Nos centres économiques, Sofia, Plovdiv ou Stara Zagora sont plutôt dynamiques. L’épine dorsale de notre économie sont les entreprises privées qui exportent biens et services à l’étranger, principalement vers l’Union européenne. Le taux d’emploi est à un niveau record, 67% des personnes actives avaient un emploi en 2017, le chômage devrait d’ailleurs descendre sous la barre des 5% en 2018 (6,2% de la population en 2017, ndlr). Par ailleurs, les salaires ont augmenté de 7% au cours des premiers mois de cette année, comparativement aux trois premiers mois de 2017. Certes, le salaire minimum reste le plus bas de l’Union européenne, mais il est passé de 90 à 255 euros depuis 2007, et l’argent qui vient des Bulgares travaillant à l’étranger, estimé à 800 millions d’euros pour 2017, soutient le niveau de vie de beaucoup de familles. Enfin, l’excédent budgétaire en 2017 était de 0,9% du PIB (produit intérieur brut, ndlr). Bref, l’économie bulgare est plutôt en bonne forme, avec une inflation régulière chiffrée à 2,1% en 2017. Sans oublier que le taux d’absorption des fonds européens a atteint 90% pour la période 2007-2013.
Quelles sont les zones d’ombre à ce tableau plutôt radieux ?
Les principaux problèmes sont surtout politiques, et non purement économiques. Une importante corruption, un système judiciaire défaillant, des institutions sous contrôle, des médias peu libres et un populisme bien présent restent des freins à la marche en avant de l’économie. Malgré certains efforts, la Bulgarie n’a pas réussi à résoudre le manque d’indépendance de la justice et la corruption. À côté de ces soucis récurrents, le pays est confronté, comme en Roumanie, à des défis de capital humain ; la main-d’œuvre n’est pas suffisamment compétente et les entreprises se démènent pour trouver le personnel dont elles ont besoin. Quant aux investissements dans leur ensemble, ils sont relativement faibles par rapport à 2007-2008, date d’entrée du pays dans l’Union européenne.
Justement, la Bulgarie attire-t-elle suffisamment d’investissements étrangers ?
Elle attire les sociétés étrangères en raison de l’accès aux marchés de l’UE, une main-d’œuvre peu onéreuse, et une fiscalité très avantageuse – l’imposition du profit est à 10%, ndlr. Les premiers investisseurs sont l’Autriche, les Pays-Bas, l’Allemagne, la Grèce et le Royaume-Uni. Mais encore une fois, l’attraction du pays est limitée par la corruption et le manque de main-d’œuvre qualifiée – selon la Banque mondiale, le pourcentage moyen des investissements étrangers par rapport au PIB n’a été que de 6,6% de 1990 à 2016, avec un pic à 31% en 2007 lors de l’entrée dans l’UE, ndlr.
Quels sont les secteurs les plus performants ?
L’économie est plutôt diversifiée, elle ne dépend pas seulement de deux ou trois secteurs. Certes, le tourisme (8,7 millions de visiteurs étrangers l’an dernier, ndlr) est très performant, mais la croissance de ces dernières années est principalement attribuable à des entreprises compétitives qui sont en mesure d’exporter vers les marchés étrangers. La fabrication de pièces pour l’automobile se porte très bien, par exemple. Les services, notamment l’informatique, connaissent également une croissance rapide.
Qu’en est-il des services sociaux ?
L’État bulgare a souvent dégagé des surplus budgétaires ces dernières années ; cette année encore, le budget se porte bien. De fait, sur ce point, la Bulgarie fait partie des pays les plus performants de l’Union européenne. Pourtant, la collecte des taxes reste un problème récurrent. Et comme ailleurs, le paiement des retraites et des soins de santé sur le long terme est un vrai défi. D’autant que le taux de natalité est trois fois inférieur à celui des années 1950 – seulement 60 000 naissances par an, ndlr –, sans compter que l’exode vers l’Ouest continue.
Commercialement parlant, la Bulgarie est-elle en train de se tourner davantage vers l’Union européenne ou la Russie ?
Les relations commerciales de la Bulgarie sont majoritairement tournées vers les pays de l’Ouest, notamment ceux de l’Union européenne. Comme le montrent les chiffres du premier trimestre de cette année, les échanges avec l’UE sont en progression constante (+12,2% pour l’export, +11,4% pour l’import, la balance commerciale restant déficitaire, d’environ 879 millions d’euros en 2017, ndlr). Comparativement, nos relations économiques avec la Russie sont mineures. Même si les Russes achètent massivement dans l’immobilier et s’intéressent à nos ressources énergétiques, ils ne font pas partie des premiers investisseurs.
L’économie bulgare est-elle prête à intégrer la zone euro ?
Nous sommes prêts à rejoindre le mécanisme de taux de change ERM II, antichambre de la zone euro. La Bulgarie remplit les principaux critères en termes de déficit, dette, inflation ou taux d’intérêt à long terme. Dans deux ans, le gouvernement prévoit donc de demander son entrée dans la zone euro auprès de l’UE et de la Banque centrale européenne, nous verrons bien. Cela devrait évidemment avoir des effets très positifs tant au niveau économique que politique.
Propos recueillis par Dimitri Dubuisson (juin 2018).