La fertilité de la terre agricole roumaine est en baisse constante depuis la chute du régime communiste. Une terre parmi les moins productives d’Europe. Raison principale : la majorité des agriculteurs n’a pas les moyens d’effectuer des analyses agro-chimiques régulières qui permettraient d’équilibrer les carences naturelles en nutriments. Ou utilisent mal les fertilisants.
Vue de haut, la campagne roumaine semble s’être vêtue d’un costume d’arlequin. Les petites parcelles agricoles, découpées de façon plus ou moins égales, sont autant de taches de couleurs qui changent au fil des saisons. Résultat de la redistribution des terres après la chute du régime communiste en 1989, la Roumanie est le pays de l’Union européenne comptant le plus grand nombre d’exploitations. Près de quatre millions, soit 32% du total réparti dans les 27 Etats membres. Mais leur surface moyenne ne dépasse pas trois hectares, ce sont de toutes petites fermes – l’agriculture de subsistance concerne 50% de la surface agricole utile (SAU).
« La majorité des petits propriétaires ne sait pas faire de l’agriculture moderne, déplore le secrétaire général du syndicat Agrostar, Tudor Dorobanţu. Ils ne savent pas que la terre doit être entretenue avec des engrais bien dosés pour garder sa fertilité. » Et éventuellement fertilisent avec le fumier de la vache ou du cochon de Noël, estimant que ce sera suffisant. Lui-même agriculteur depuis plus de 30 ans, M. Dorobanţu raconte que sous le communisme, une cartographie agrochimique était effectuée chaque année pour connaître les carences en nutriments des terres et intervenir en conséquence.
Aujourd’hui, une telle étude du sol est au-dessus des moyens des petits paysans, qui bien souvent n’y voient même pas l’intérêt. Les autres, ceux qui contrôlent de grandes exploitations (20% de la SAU, travaillée par seulement 1526 exploitations dont la taille moyenne est de 1802 hectares – chiffres Eurostat), ne font guère mieux : « Quand ils ont les moyens d’acheter de l’engrais, ils le répandent comme ils l’entendent, sans aucun contrôle et souvent en trop grande quantité », ajoute M. Dorobanţu. Mais cette agriculture de l’approximation a un effet dramatique sur la fertilité des terres. « On recense aujourd’hui un contenu réduit voire très réduit en humus (matière organique contribuant à la fertilité de la terre, ndlr) sur 7,5 millions d’hectares, un déficit en phosphore sur 6,3 millions d’hectares, et d’azote sur 5,5 millions d’hectares (deux éléments chimiques nécessaires à la composition du humus, ndlr), détaille le directeur de l’Institut de recherches en pédologie et agrochimie, Mihail Dumitru. Conséquence : notre production est plafonnée. »
« Quand les exploitants ont les moyens d’acheter de l’engrais, ils le répandent comme ils l’entendent, sans aucun contrôle et souvent en trop grande quantité »
Avec plus de 13 millions d’hectares de terrain agricole dont neuf millions de terres arables (cultivables), la Roumanie se situe à la sixième place au sein de l’Union européenne, et ambitionne de devenir la troisième puissance agricole européenne dans les années à venir. Une mission délicate si l’on prend en compte cette dégradation des sols. Aujourd’hui, la productivité agricole du pays est l’une des plus réduites du continent.
Systématisée sous le régime communiste, l’agriculture roumaine avait bénéficié d’investissements considérables jusqu’à la chute de Nicolae Ceauşescu. Plus de deux millions d’hectares étaient alors irrigués et des engrais chimiques répandus en grande quantité. Les déficits naturels en nutriments ont plus ou moins pu être tenus sous contrôle. Mais après 1989, l’agriculture industrielle est redevenue une agriculture de subsistance, sans engrais.
Un atout pour le développement de l’agriculture biologique ? Ces dernières années, la Roumanie a effectivement connu une recrudescence du nombre de paysans se mettant au bio. Cependant, qu’elle soit bio ou pas, une semence a besoin d’une terre fertile pour pousser. « Un terrain qui n’est pas travaillé n’est pas synonyme de fertilité, précise le président de l’association Bio Romania, Marian Cioceanu. Pour maintenir une terre fertile sans utiliser d’engrais, il faut respecter certaines règles de base, comme la rotation des cultures ou la plantation de luzerne, qui fixe naturellement l’azote dans le sol. » Ces petites astuces ne sont pas connues de la plupart des paysans qui ne se posent pas la question de rendre leur terre plus fertile et se satisfont de leur récolte. En vingt-trois ans de démocratie, l’Etat n’a d’ailleurs jamais entrepris de réelle politique de développement agricole, et n’a pas cherché à former ces agriculteurs. « Le potentiel existe, mais il manque tout le reste », conclut Tudor Dorobanţu.
La plus faible consommation d’engrais de l’UE
Avec une consommation moyenne de 28 kilogrammes d’engrais par hectare (azote, phosphore et potassium confondus), selon les derniers chiffres du bureau européen de statistiques Eurostat, la Roumanie est, avec le Portugal, le pays de l’UE qui utilise le moins d’engrais. La moyenne européenne se situe à 76 kg/hectare. Cette situation ne date néanmoins pas d’hier. Selon les spécialistes, la Roumanie n’a jamais dans son histoire utilisé autant d’engrais qu’il en aurait fallu pour équilibrer les carences naturelles en nutriments qui existent dans son sol.
Jonas Mercier (mai 2013).