Entretien réalisé le mardi 29 mai en fin de journée, par téléphone et en français.
Les élections européennes du 9 juin en Roumanie se dérouleront dans l’ombre des élections locales, estime Silvia Marton. Et selon la maître de conférences en sciences politiques à l’université de Bucarest, les deux poids lourds de la politique roumaine, le PSD et le PNL, seront les deux principaux bénéficiaires de ces scrutins fusionnés…
À quoi s’attendre pour ces élections européennes en Roumanie ? Estimez-vous que les partis extrémistes pourraient tirer leur épingle du jeu ?
En premier lieu, je pense que les deux principales forces politiques du pays, le PNL et le PSD, devraient envoyer plus ou moins les mêmes personnes au nouveau Parlement européen. Et pour ce qui est des extrémistes, à savoir les partis AUR et SOS, ils pourraient obtenir un score plus important que la dernière fois, et être ainsi représentés à Strasbourg et à Bruxelles par des personnalités à la fois excentriques mais également novices sur la scène politique européenne. Pour ces formations, la possibilité d’être visibles dans les arcanes du pouvoir européen constitue un enjeu important ; cela leur permettra de faire entendre leur voix dans un contexte favorable à l’extrême droite et aux mouvements souverainistes, lesquels ont plus que jamais le vent en poupe sur le continent. Reste à voir si les représentants d’AUR et de SOS, partis qui, rappelons-le, sont relativement hostiles l’un envers l’autre sur le plan national, seront capables de s’entendre au sein du Parlement européen.
Le fait que les élections européennes se dérouleront en même temps que les élections locales contribuera-t-il à réduire l’absentéisme ? De fait, les Roumains sont-ils suffisamment conscients de l’enjeu de ces élections ?
Il est effectivement probable que le chevauchement de ces deux scrutins entraîne une plus forte participation. Les élections locales ont tendance à motiver un peu plus les électeurs, le PSD et le PNL en bénéficieront certainement ; il me semble relativement évident que leurs scores électoraux auraient été plus faibles si les deux élections n’avaient pas lieu au même moment. Car après plusieurs années de pause électorale, si les deux scrutins avaient été séparés, ils auraient alors pu se transformer en un vote de protestation contre les partis au pouvoir. N’oublions pas que les Roumains n’ont pas été appelés aux urnes depuis le début de la pandémie, les dernières élections datant de décembre 2020. Pour revenir aux élections locales, celles-ci constituent un scrutin plus apolitique et davantage lié à des enjeux de la vie quotidienne qui sont, en quelque sorte, plus concrets. Ces derniers devraient prendre le pas sur les questions européennes, lesquelles sont surtout médiatisées par le prisme de problématiques nationales, ce qui est le cas partout en Europe et pas seulement en Roumanie.
De quels pouvoirs disposent réellement un député européen roumain à Strasbourg et à Bruxelles ?
Le nombre relativement important d’eurodéputés issus des listes du PSD et du PNL renforcera sans doute les deux principaux groupes parlementaires européens, à savoir le Parti des socialistes européens (PSE) et le Parti populaire européen (PPE). Les eurodéputés des partis roumains qui ont déjà siégé à Strasbourg ainsi qu’à Bruxelles au cours des années précédentes sont expérimentés et participeront à la coalition majoritaire qui devrait se former. Quant aux nouveaux eurodéputés roumains, et je pense notamment à ceux d’extrême droite, ils seront certes moins importants en nombre, néanmoins ils essaieront de se faire remarquer afin d’obtenir une visibilité à la fois au niveau européen mais aussi et surtout au sein de la scène politique roumaine. Ceci étant, bien que la Roumanie soit un État membre important au sein de l’UE du point de vue démographique et dans le contexte actuel de guerre en Ukraine, la politique étrangère et européenne du pays est pour ainsi dire conforme à celle de l’Allemagne et de la France. La Roumanie n’interfère aucunement dans les choix et stratégies des deux locomotives continentales, elle n’est pas non plus source d’idées nouvelles. Et les eurodéputés roumains représentant les deux grands partis nationaux se contentent souvent de se conformer à la politique étrangère et européenne du gouvernement à Bucarest.
Propos recueillis par Carmen Constantin.
Note : 33 eurodéputés ainsi que 3186 maires et conseillers locaux et départementaux seront élus à l’issue des deux scrutins du 9 juin (source : Autorité électorale permanente – AEP).