Entretien réalisé le jeudi 22 juin dans la matinée, par téléphone et en roumain.
Architecte, expert de la conservation-restauration du patrimoine et président de la fondation Pro Patrimonio Roumanie, Șerban Sturdza évoque les menaces à l’adresse d’un héritage inestimable ainsi que les efforts pour le sauvegarder…
Comment décririez-vous l’état actuel du patrimoine architectural roumain ?
Malheureusement, la conservation du patrimoine ne constitue pas une préoccupation majeure pour la société roumaine. Dans le milieu rural, où le régime juridique de nombreux bâtiments n’est pas clair, il est impossible de lancer des travaux, d’y intervenir, le patrimoine se dégrade sous les regards impuissants ou indifférents des autorités et des propriétaires. Dans le milieu urbain, à Bucarest par exemple, les apparences semblent primer sur la profondeur, sur la valeur historique, et on assiste tout au mieux à la préservation des façades, tandis que l’espace intérieur est complètement détruit. On se retrouve avec des carcasses, comme des décors de théâtre, qui ont perdu une grande partie de leur valeur. La situation n’est pas du tout rose. Il faut en outre évoquer un autre facteur : les changements climatiques et les nouvelles technologies qui visent à isoler hermétiquement les bâtiments. Or, lorsque ces derniers ne sont pas correctement ventilés, les différences d’humidité favorisent l’apparition d’un champignon très dangereux, la mérule pleureuse, qui attaque les structures en bois. Ceci étant, je voudrais également souligner un élément positif… Depuis que nous nous attachons à impliquer les communautés locales dans la conservation du patrimoine, nous avons constaté un intérêt accru pour ce domaine. Un exemple, depuis deux ans, notre fondation organise « Les concerts sur le Siret » (Concerte pe Siret, ndlr), avec des orchestres qui se produisent dans des bâtiments historiques, dont certains sont toujours en chantier. Notre but est de sensibiliser les communautés et de leur faire mieux connaître leur région. Il s’agit d’un effort supplémentaire, mais cela nous permet aussi de financer une partie des travaux que nous engageons.
Quels sont les projets de votre fondation qui vous tiennent à cœur ?
En premier lieu, je dirais qu’il y a aujourd’hui quelque chose dont nous sommes fiers. Au début, nous ne nous intéressions qu’à l’objet architectural, mais par la suite, on a compris que ce dernier n’avait aucune valeur s’il n’était pas utilisé et partagé avec le plus grand nombre de personnes. Les communautés locales, les jeunes, les enfants, tout cela nous préoccupe énormément. Nous sommes très fiers, par exemple, de la maison George Enescu de Mihăileni – commune située au nord de Suceava, à la frontière avec l’Ukraine, ndlr –, en cours de restauration mais qui a déjà un parcours remarquable en termes d’éducation ; des enfants y étudient la musique tout en enrichissant leurs connaissances sur la région et sur les techniques traditionnelles de construction. Un autre projet intéressant est celui des « 60 églises en bois », qui font l’objet de travaux de conservation et dont une partie pourra bientôt être visitée dans le cadre d’un trajet touristique.
Vous parliez du souhait d’impliquer davantage les jeunes, sont-ils intéressés par la préservation du patrimoine architectural ?
Il existe une génération de jeunes en passe de devenir des experts dans le domaine, qui travaillent sur les chantiers de restauration ou participent à des écoles d’été de plus en plus nombreuses. Ce qui avant était une exception est désormais une option assez fréquente ; quand des jeunes passent leurs vacances sur un site de restauration, cela crée des vocations, car voir le résultat final est extrêmement agréable, et porteur de prestige. De telles expériences laissent des traces. Si une partie de ces jeunes décide d’en faire une profession, la vie de tous en sera influencée sur le très long terme.
Propos recueillis par Mihaela Rodina.