Mi-novembre, la république de Moldavie s’est dotée d’un nouveau président, le socialiste Igor Dodon, qui a promis de tourner le pays vers la Russie et d’annuler l’accord d’association avec l’Union européenne. Tiendra-t-il parole ? Le parcours européen de la Moldavie est-il menacé ? Et quels ont été les ressorts de son élection ?
Après une campagne entre pro-Européens et pro-Russes, c’est Igor Dodon, le russophile, qui l’a emporté. Même si sa rivale Maia Sandu a obtenu un score remarquable – vu les moyens financiers limités dont elle a disposé et les attaques lancées par ses adversaires à son encontre –, les Moldaves ont voté majoritairement pour celui qui ne cache pas sa sympathie vis-à-vis de l’homme fort de Moscou, Vladimir Poutine.
Pour l’historien Armand Gosu, le choix de M. Dodon s’explique par un mélange de « nostalgie envers l’Union soviétique et désillusion envers le parcours européen » du pays, mais surtout par « le désespoir, qui a atteint en Moldavie des sommets sans égal en Europe. (…) La population est déçue de voir que les progrès enregistrés par leur pays dans ses relations avec l’Union européenne ne se soient pas traduits par une hausse du niveau de vie, ce pays demeurant le plus pauvre d’Europe ». Selon une étude de la Banque mondiale, 41% des Moldaves vivent avec à peine 5 dollars par jour. « Après sept ans de parcours européen, la Moldavie est au bord de l’effondrement, rongée par la corruption, aux institutions hautement politisées, et dont des milliers de personnes émigrent tous les mois », rappelle M. Gosu.
Selon Nicu Popescu, analyste à l’Institut des études de sécurité de l’Union européenne, la victoire d’Igor Dodon n’est pas une surprise : « Depuis environ trois ans, la popularité des forces de gauche est en hausse », dit-il dans un entretien pour le site Contributors. Pendant la campagne, Igor Dodon, ancien ministre de l’Économie, a notamment promis de dénoncer l’accord d’association avec l’UE – ou au moins son volet économique – signé par Chişinău il y a deux ans, et d’intégrer la Moldavie dans l’Union douanière formée de la Russie, la Biélorussie et le Kazakhstan. « La signature de cet accord a été une énorme erreur. Les indicateurs économiques montrent que la Moldavie en a pâti ; elle a perdu le marché russe sans gagner accès au marché européen », a récemment déclaré M. Dodon aux médias russes. Bien que selon des chiffres officiels, les exportations de produits moldaves ont fortement progressé, s’élevant à 2 milliards d’euros ces deux dernières années, soit plus de 60% du total.
Quoi qu’il en soit, le nouveau président admet qu’il ne dispose pas des leviers pour annuler cet accord. « Mais je vais convoquer un référendum pour que les Moldaves se prononcent sur cette question », soutient-il. Et d’assurer qu’il gardera sa neutralité. Les experts estiment pour leur part que sans une majorité claire au Parlement, sa marge de manœuvre sera réduite, ses pouvoirs étant limités. « Le vrai changement de pouvoir devrait intervenir dans deux ans, lors des prochaines élections législatives », que les socialistes de M. Dodon pourraient remporter, souligne M. Popescu.
L’analyste Iulian Chifu est en partie du même avis : « Une réorientation stratégique de la Moldavie n’est pas possible tant que le président devra composer avec un parlement et un gouvernement majoritairement pro-européens. » C’est d’ailleurs la raison pour laquelle Igor Dodon a déjà évoqué son souhait d’organiser des élections anticipées. Mais le choix ne sera pas simple, car si la Moldavie renonçait à l’accord avec l’UE, elle perdrait les avantages qui en découlent, y compris la possibilité pour ses citoyens de voyager dans l’UE sans visa. Cela représenterait un coup dur pour un pays qui survit essentiellement grâce à l’argent envoyé par les Moldaves travaillant à l’étranger – environ un million, soit un tiers de la population.
En outre, ajoute Armand Gosu, « il est improbable que la Moldavie rejoigne l’union douanière euro-asiatique, qui est une fiction et ne fonctionne que sur le papier ». Et le nouveau président n’est pas naïf ; Moscou ne va pas l’aider dès lors que la Russie, elle-même en proie à une crise économique, a du mal à soutenir la petite république séparatiste de Transnistrie, dix fois plus petite que la Moldavie (voir le reportage sur Tiraspol, pages…).
« Je ne crois pas que Dodon veuille risquer de perdre les avantages liés à l’association avec l’UE », assure Nicu Popescu. Même si la Russie devrait lever certaines restrictions et sanctions visant les marchandises moldaves, son marché est trois fois plus petit que le marché européen. « Un retrait de cet accord équivaudrait pour Dodon à un suicide économique », assure M. Popescu, estimant que ce dernier tentera probablement d’en renégocier les termes. Le scénario le plus probable : Igor Dodon pourrait freiner les démarches visant une intégration dans l’UE sans toutefois changer de cap à 180 degrés.
Son élection a par ailleurs suscité des questions sur l’attachement des Moldaves à la voie européenne de leur pays. Ces dernières années, la crédibilité du bloc européen a chuté de 70%, à moins de 50%. Selon le représentant de l’UE à Chişinău Pirkka Tapiola, cela s’explique par le désenchantement suscité par des gouvernements successifs qui se sont targués d’être pro-européens mais n’ont pas tenu leurs promesses en termes de réformes et de lutte contre la corruption.
Dans ces conditions, l’UE dispose-t-elle de moyens pour changer la donne ? Selon Armand Gosu, il est un peu tard, Bruxelles « aurait dû surveiller de plus près les développements politiques en Moldavie » avant que la situation ne se dégrade… « Après la découverte, l’année dernière, de la disparition d’un milliard de dollars des comptes de trois grandes banques, la scène politique est entrée dans une impasse dramatique, la monnaie nationale s’est fortement dévaluée, le produit intérieur brut s’est effondré, de même que la confiance dans la classe politique. » La réaction de Bruxelles face à cette dégringolade ? « Zéro, s’insurge M. Gosu. L’attitude européenne a renforcé pour une majorité des Moldaves le sentiment que l’Occident a abandonné leur pays aux mains des oligarques. S’étant sentis trahis, ils se sont orientés vers la Russie. »
Bucarest devra de son côté avancer prudemment dans ses relations avec Chişinău. Le nouveau président a déjà évoqué parmi ses priorités la mise hors la loi des unionistes, la désignation du moldave comme langue officielle (en remplacement du roumain), et la substitution de l’histoire de la Roumanie par celle de la Moldavie dans les écoles. « La Roumanie doit s’engager au maximum en faveur de la Moldavie, Dodon va probablement lancer des attaques verbales à son encontre sans toutefois qu’on revienne au niveau de propagande anti-roumaine du temps de l’ancien président communiste Vladimir Voronine », affirme Nicu Popescu.
Pour Armand Gosu, Bucarest devrait éviter les polémiques inutiles avec Igor Dodon et coordonner son aide avec celle versée par l’UE et le Fonds monétaire international, tout en exigeant certaines garanties… « Tout prêt devrait être conditionné à la mise en place de réformes, notamment dans la justice, la lutte contre la corruption et la dépolitisation des institutions. »
Mihaela Rodina (décembre 2016).