Entretien réalisé le 17 octobre dans la matinée au bureau de l’Inspectorat territorial de la police des frontières de Sighetu Marmației (département du Maramureș), en roumain.
Malgré la loi martiale qui interdit toute sortie de l’Ukraine depuis le début de la guerre pour les hommes de 18 à 60 ans – sauf exceptions –, des milliers d’Ukrainiens ont traversé montagnes et rivières pour arriver en Roumanie. Un phénomène que doit gérer l’équipe de Iulia Stan, porte-parole de l’Inspectorat territorial de la police des frontières de Sighetu Marmației…
Quelle est l’ampleur des traversées des Ukrainiens fuyant la mobilisation pour rejoindre la Roumanie ?
Je peux vous parler de la portion de frontière que nous surveillons, soit les départements de Satu Mare, Maramureș et Suceava, ce qui représente 364 kilomètres. C’est là que passent la plupart des hommes, notamment par les montagnes des Carpates et la rivière Tisza qui sépare la Roumanie et l’Ukraine. Entre le 24 février 2022 au soir, date de l’instauration de la loi martiale, jusqu’au 16 octobre dernier, 7700 hommes* ont traversé illégalement notre portion de frontière. Ils ont été plus nombreux les premiers mois de la guerre, mais nous constatons encore une dizaine de traversées par jour. Malheureusement, le chemin n’est pas sans danger, treize personnes ont trouvé la mort côté roumain, soit noyées dans la rivière, soit à cause du froid ou d’un choc hypothermique. De son côté, l’Ukraine ne communique pas de chiffres officiels.
* Entre le 24 février 2022 et le 15 octobre 2023, l’Inspectorat général de la police des frontières a identifié 8400 hommes ukrainiens entrés illégalement en Roumanie sur la totalité des 650 kilomètres de frontière qui sépare l’Ukraine de la Roumanie.
Comment arrivez-vous à les détecter ?
Nous utilisons des technologies avancées, notamment grâce au soutien de Frontex (L’agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes, ndlr), car il s’agit d’une frontière extérieure de l’Union européenne. Frontex nous a fourni du personnel et du matériel de surveillance, principalement des caméras thermiques, des drones et des hélicoptères. Nous avons aussi des garde-frontières qui patrouillent de jour comme de nuit. Au départ, toute cette technologie servait à stopper le trafic de contrebande, en particulier de cigarettes, mais il a considérablement diminué depuis le début de la guerre. Parfois, des locaux nous appellent lorsqu’ils tombent sur quelqu’un qui vient de traverser. Il arrive aussi que des familles nous signalent qu’un de leurs proches est en train de passer la frontière. Un jour, une mère est venue au point de contrôle pour nous dire que ses deux fils se trouvaient quelque part dans les montagnes. Elle s’est effondrée devant nous car ils ne répondaient plus au téléphone. Nous l’avons signalé à nos collègues et aux secours qui les ont retrouvés.
Que se passe-t-il après leur traversée ?
Certains ont peur quand ils nous voient, ils pensent que nous allons les renvoyer en Ukraine. On les rassure. Nous ne sommes pas là pour les juger. Nous savons que certains ne sont pas aptes à partir sur le front. La police des frontières se limite à les identifier et à appliquer la législation européenne, qui leur accorde le droit de demander l’asile ou une protection temporaire. Avant cela, ils passent un contrôle médical ; beaucoup ont des blessures et des gelures. Souvent, ils sont aussi déshydratés ou exténués, et doivent parfois rester quelques jours à l’hôpital. Puis nous les identifions, nous prenons leurs empreintes, et ils sont ensuite envoyés à Baia Mare afin de procéder aux demandes d’asile ou de protection temporaire.
Propos recueillis par Marine Leduc.