Entretien réalisé le mardi 31 octobre en milieu de journée, par téléphone et en roumain.
Chargé de cours à l’Université de Bucarest, Christian Năsulea dresse un panorama de la situation économique de la Roumanie par rapport à d’autres pays d’Europe du sud-est…
Comment évaluez-vous le développement macroéconomique des pays de la région, et quelles sont, selon vous, les possibles évolutions à moyen terme ?
Tout d’abord, il est à noter que la Roumanie s’en sort toujours un petit peu mieux que ses voisins. Malgré tous les problèmes inhérents au pays, nos résultats économiques sont, par exemple, meilleurs que ceux de la Bulgarie. Et nous n’avons pas les mêmes problèmes que d’autres pays du sud-est européen, je fais notamment référence au crime organisé et à la corruption. Attention, je ne suis pas en train de dire qu’il n’y a pas de corruption chez nous, mais c’est à un degré moindre. La Roumanie s’inscrit également dans une trajectoire pro-européenne beaucoup plus affirmée que la Bulgarie, ce qui se traduit par davantage d’investissements que de l’autre côté du Danube. Quant à la Grèce, autre pays du sud-est européen faisant partie de l’UE, elle a beaucoup souffert de la crise de 2008, son potentiel de développement est important mais, ces derniers temps, il a malheureusement stagné. Et pour ce qui est des pays qui ne sont pas dans l’UE, comme ceux de l’ex-Yougoslavie, leurs économies et les perspectives de croissance sont également plus faibles qu’en Roumanie. Sans gros accident de parcours de notre côté, tout cela devrait se confirmer. Ceci étant, ce n’est pas vraiment parce que la Roumanie fait le nécessaire qu’elle obtient de meilleurs résultats, mais plutôt parce que nos voisins commettent davantage d’erreurs que nous. Nos succès sont donc à relativiser.
Que pensez-vous de la politique économique globale menée par le gouvernement roumain ?
D’après moi, la Roumanie n’a malheureusement pas de politique économique globale avec une direction claire. À partir de là, il est difficile de comprendre quels sont les objectifs et la stratégie du pays, de sorte que les investisseurs étrangers ne disposent pas de réelle lisibilité lorsqu’ils envisagent de s’installer ici. Nous en sommes réduits à tenter d’assurer un niveau de vie décent à autant de gens que possible, mais nous n’utilisons pas les bons instruments. Je pense notamment aux programmes d’aide sociale et au salaire minimum que nous ne cessons d’augmenter simplement dans le but de montrer que nous nous préoccupons des revenus des plus pauvres. Alors que dans le même temps, nous prenons des mesures qui entravent le bon fonctionnement de l’économie avec l’augmentation des impôts, le renforcement de la bureaucratie, et le plafonnement des surtaxes commerciales, ce qui se traduit par une augmentation des prix. Tout le monde en pâtit, et surtout les plus pauvres d’entre nous. Il est impératif de rectifier le tir afin d’encourager les entreprises à venir chez nous ; cela génèrera plus d’emplois et d’opportunités pour les Roumains, mais aussi davantage de produits et de services sur le marché, et se traduira automatiquement par des prix plus bas et un plus grand pouvoir d’achat.
Quels sont les principaux obstacles au développement économique de la Roumanie ?
Si je peux me permettre une boutade, je pense que le plus gros obstacle va être l’année électorale 2024. Avec quatre élections au programme (ndlr : les élections locales, parlementaires et présidentielle, ainsi qu’européennes en l’espace de quelques mois), l’année qui vient amènera les politiques à prendre des mesures ou à se comporter d’une manière qui ne sera pas nécessairement positive pour le développement du pays. La démocratie et le droit de vote sont des choses essentielles, bien entendu, mais dans le contexte de plusieurs échéances électorales si rapprochées, cela risque d’avoir des conséquences négatives. Il est à craindre qu’une bonne partie des fonds soit utilisée dans le but d’accorder des avantages à certaines catégories de citoyens de manière à influencer leur vote. De façon générale, l’impératif de montrer à tout prix que la Roumanie est un pays stable aura inévitablement des conséquences sur le plan économique.
Propos recueillis par Carmen Constantin.
En complément de cet entretien, Eurostat a sorti, le 27 septembre dernier, un rapport interactif très bien fait comparant les régions européennes, notamment leurs situations économiques respectives (en anglais) :
https://ec.europa.eu/eurostat/web/interactive-publications/regions-2023