Entretien réalisé le vendredi 12 janvier dans l’après-midi, par téléphone et en roumain.
Croissance, déficit, inflation… Cristian Păun, professeur à l’Académie d’études économiques de Bucarest, dresse le bilan de 2023 et dessine des perspectives pour les prochains mois…
Comment décririez-vous l’année 2023 ?
2023 aurait dû être l’année de la reconstruction, mais elle a été marquée par des erreurs qui ont affecté la stabilité macro-économique du pays. En cause, la politique budgétaire irréaliste du gouvernement, qui a surévalué la croissance et les recettes publiques. Ces prévisions ont d’ailleurs été contredites par la réalité ; loin de progresser comme prévu – avec un taux à 2,8%, ndlr –, l’économie s’est essoufflée, sur fond de performance décevante de secteurs importants, dont la production industrielle et le bâtiment*. Cela a contraint le gouvernement à adopter en urgence, et en l’absence de tout débat public, des mesures fiscales visant notamment la majoration des taxes pour les entreprises et la population. Au lieu de réformer l’État et le secteur public, les autorités ont opté pour la solution la plus commode. Côté positif, je mentionnerais la poursuite du Plan national de relance (PNRR, ndlr) qui risquait d’être bloqué, et la résilience du secteur privé qui a réussi à faire face à tous ces défis auxquels se sont ajoutées l’inflation et la pression salariale qui l’accompagne. En outre, on peut noter une année agricole relativement bonne, à la faveur d’une météo clémente.
* Dans ses prévisions de l’automne publiées en novembre dernier (Economic forecast for Romania), la Commission européenne a revu à la baisse le taux de croissance escompté pour la Roumanie en 2023 à 2,2%, contre 2,5% précédemment.
Comment la guerre en Ukraine a-t-elle eu un impact sur l’économie roumaine ?
Une guerre à nos frontières représente évidemment un danger dont les effets se traduisent, entre autres, par la réticence des investisseurs à s’implanter en Roumanie. À cela s’est ajoutée l’incapacité des autorités à tirer leur épingle du jeu ; le pays semble être exclu des discussions sur la reconstruction de l’Ukraine, et il a du mal à faire face au flux de marchandises en provenance ou à destination de ce même pays. Par ailleurs, la Roumanie n’a été intégrée dans aucune chaîne internationale de production ou de distribution délocalisée suite à la pandémie et au déclenchement de la guerre.
Êtes-vous plus optimiste pour 2024 ?
En termes de macro-stabilité, 2024 sera similaire à 2023, avec toujours un taux d’inflation important et un déficit public excessif. La prévision de croissance est encore une fois trop optimiste, de même que celle concernant les recettes publiques. De plus, 2024 est une année électorale, avec quatre scrutins. Ce ne sera pas une année de développement, mais plutôt une année de survie. Selon moi, les prochains mois risquent d’engendrer des problèmes qui devront être corrigés dans les années suivantes, beaucoup de ressources seront gaspillées ainsi que cet élan qui accompagne généralement le début d’un cycle électoral. On dit que toute réforme importante doit être mise en œuvre dans les premières années d’un nouveau gouvernement. Or, vu la situation actuelle, les gagnants des élections devront consacrer leurs efforts à ramener la stabilité actuellement mise à mal. Si je devais donner un conseil au gouvernement, ce serait de tenir sous contrôle le déficit public, car cet indicateur nourrit la spirale inflation – hausse des salaires qui, à son tour, fait s’envoler les taux d’intérêt, décourageant les investissements. J’espère surtout que le gouvernement n’envisage pas une nouvelle majoration des taxes, voire de la TVA, et surtout n’abandonne pas le taux unique d’imposition. Une telle mesure ne contribuerait absolument pas à renflouer les caisses de l’État comme il l’espère.
Propos recueillis par Mihaela Rodina.