Entretien avec Gianina Cărbunariu, dramaturge, metteur en scène et directrice du Teatrul Tineretului à Piatra Neamț…
En tant que dramaturge, vous êtes préoccupée par les questions sociales et politiques. Pensez-vous pouvoir générer un changement de société à travers le théâtre ?
Je me sens effectivement préoccupée par les enjeux sociaux mais aussi par l’histoire récente. J’ai donc essayé d’initier un dialogue public à travers les spectacles que j’ai créés en tant qu’artiste, ou produits en tant que manager. Sans espérer un changement du jour au lendemain, je crois que les stratégies à long terme et une programmation exigeante peuvent soutenir le développement d’un public critique, et c’est exactement notre objectif : avoir des spectateurs qui se posent des questions, qui refusent les réponses déjà digérées par les médias et, surtout, qui deviennent des citoyens actifs au sein de leur environnement. En tant que directrice d’un théâtre départemental, j’ai la chance de pouvoir réunir un public ouvert à un tel dialogue, tout en montant des équipes artistiques dédiées à cette démarche.
Comment la relation avec le public change-t-elle dans ce contexte d’accès restreint aux salles de spectacle et de diffusion du théâtre en ligne ?
Il est essentiel d’atteindre notre public, de rester en contact avec nos spectateurs, de ne pas disparaître de leur vie. Les gens ont besoin de théâtre. Je l’ai senti à la lumière de leurs réactions en ligne et lorsqu’ils étaient présents aux spectacles que nous avons pu présenter à l’extérieur ou dans les salles. Entre août et octobre 2020, nous avons produit deux spectacles itinérants : Va urma. Ghidul performativ pentru spectator (À suivre. Guide performatif pour le spectateur, ndlr), dont le concept m’appartient, et Viitorul din trecut (L’avenir du passé, ndlr), réalisé par Clemens Bechtel. Pour Va urma, nous avons utilisé la façade de notre bâtiment comme scène pour le premier acte, nous avons donc atteint de nombreux passants, des spectateurs occasionnels. Quant à Viitorul din trecut, il s’agit d’un itinéraire à travers le présent et le passé de Piatra Neamț, dans ses rues et dans des espaces intérieurs non conventionnels. Par ailleurs, ce mois-ci, nous avons présenté la première du drame Pattern, de Daniel Chirilă, dans la grande salle de notre bâtiment. Outre la communauté locale de spectateurs, le fait que nous diffusions des spectacles en ligne nous a aidés à atteindre l’audience d’autres villes, même à l’étranger. Le spectacle d’Elena Morar et Andreea Tănase, 98%. Decizia corectă (98%. La bonne décision, ndlr), sur le thème des grossesses non désirées chez les mineures en Roumanie, a fait sa première en ligne et a atteint plus de 9000 vues en trois semaines.
Qu’avez-vous appris de cette pandémie en tant qu’artiste et manager ?
À mon avis, nous ne sommes qu’à mi-chemin du contexte créé par la pandémie. Jusqu’à présent, je pense que le plus important était que nous réussissions, mes collègues et moi, à nous adapter à une réalité imprévisible, et à trouver rapidement des solutions pour chaque nouveau scénario, tout en restant fidèles à notre vision. En tant qu’artiste, j’ai dû abandonner des projets internationaux qui auraient impliqué de voyager ou d’inventer des solutions artistiques nouvelles. C’est une époque où la solidarité est vitale, entre les membres d’une équipe artistique, au sein de la guilde théâtrale roumaine ou entre artistes et producteurs internationaux.
Propos recueillis par Matei Martin.