Dans les médias, à la maison, dans la rue, les femmes roumaines sont souvent les premières à être maltraitées, verbalement ou physiquement. Un phénomène inquiétant qui ne va pas en s’atténuant. Et malheureusement, l’aide proposée par les autorités à ces victimes n’est pas à la hauteur.
« Médias, ne traitez plus les violences faites aux femmes comme un divertissement !… » Message ferme adressé aux médias roumains lors d’une manifestation qui eut lieu Piaţa Presei libere à Bucarest, le 25 novembre dernier, à l’occasion de la journée mondiale contre les violences faites aux femmes (photo). Une soixantaine de manifestants – femmes et hommes – se sont réunis à l’appel du centre Filia et de l’association Front, deux organisations féministes bucarestoises. D’une seule voix, tous ont critiqué « le sensationnalisme et le manque de sérieux dont font preuve certains médias à l’égard des victimes d’agressions verbales et physiques ». Un par un, elles ont cité – puis hué – ces journalistes qui lors d’émissions télévisées, osent « rire et plaisanter des agressions dont sont victimes les femmes ». Tudorina Mihai, l’une des organisatrices, appelle notamment le Conseil national de l’audiovisuel (CNA) « à jouer son rôle et à sanctionner les dérapages ».
Irina Costache, fondatrice de l’Association pour la liberté et l’égalité des genres (ALEG) de Sibiu va plus loin dans sa critique : « La presse roumaine ne joue pas non plus son rôle éducationnel. Par exemple, le sujet des violences domestiques est inexistant dans les sujets traités, alors que c’est un phénomène extrêmement répandu, notamment à l’encontre des femmes. » Côté chiffres, il est cependant difficile d’y voir clair. « Nous avons des soucis avec les statistiques, confie Irina Costache, car les seules en notre possession concernent les victimes qui se décident à porter plainte, et c’est une minorité. » Ceci étant, selon l’étude « Santé et reproduction » réalisée par le ministre de la Santé en 2004, 27% des femmes vivant en milieu urbain ont reconnu avoir été agressées verbalement ou physiquement par leur partenaire, contre 31% en milieu rural.
Une certaine culture
« Si tu veux que ta femme t’écoute, tu dois la battre tous les jours »… « Même si elle n’a rien fait, la femme doit être battue régulièrement, elle sait pourquoi »… Ces proverbes et expressions populaires en disent long sur la place de la femme dans la société roumaine, surtout dans les campagnes. « Ils sont à l’image de notre culture patriarcale, explique le psychologue Silviu Ioniţă, où la femme est considérée comme un être inférieur à l’homme. » Selon ce psychologue qui a travaillé auprès des femmes battues au sein de l’association No Abuse, « ces aphorismes populaires ne font qu’influencer la manière de nous comporter avec les femmes. Et réellement, dans de nombreuses familles, c’est comme cela que les choses se passent, et on finit par croire que c’est normal ».
Ces stéréotypes sont lourds de conséquences pour les femmes roumaines. Silviu Ioniţă souligne « un autre mythe qui sévit dans les Balkans : la femme ne serait rien sans l’homme, et elle ne pourrait s’accomplir qu’à travers la famille. De fait, une femme battue se séparera très difficilement de ses proches et de son mari, même sa propre mère ne l’y encouragera pas. Une mentalité entretenue par l’ensemble de la société, encore aujourd’hui ». Il ajoute que « la législation roumaine a été beaucoup trop permissive face à ce phénomène complètement ignoré par les autorités. Pendant longtemps, la police n’est pas intervenue dans ce type de violence car la famille était considérée comme une cellule indivisible, inaliénable, au sein de laquelle l’Etat ne se permettait pas d’intervenir ».
Peu de solutions concrètes
C’est un long chemin, parsemé de blocages administratifs, qui attend une femme se décidant à porter plainte contre son agresseur. En premier lieu, il n’existe aucun numéro de téléphone destiné spécialement aux victimes de violences domestiques. Porter plainte auprès du procureur reste la seule solution, mais selon Irina Costache, « c’est l’étape la plus difficile, car la procédure est longue et compliquée ».
La victime peut aussi demander à être placée dans un centre spécialisé des services sociaux. « Les 37 foyers du pays sont pleins, déplore Irina Costache, 699 places pour l’ensemble du pays, c’est trop peu, il n’existe même pas un foyer par département. » Si la victime parvient à bénéficier d’une place, la loi lui permet d’y rester au maximum 60 jours. « Mais en deux mois, la situation d’une femme a peu de chances d’évoluer, il faut qu’elle trouve un nouveau logement, et parfois même un autre travail. »
« J’ai promulgué la loi contre les violences familiales, donc maintenant vous ne serez plus battues à la maison », avait annoncé d’un ton un peu trop sarcastique le président Traian Băsescu, le 8 mars dernier. Il s’agit d’un ordre de protection qui, sollicité par la victime, oblige l’agresseur à quitter le domicile conjugal, mais uniquement si l’agressée porte plainte. D’après le psychologue Silviu Ioniţă, « il manque de toute façon les institutions compétentes dont le rôle serait d’appliquer cette nouvelle mesure ». Pour lui, « il n’y a eu aucune amélioration depuis mars ; seules fonctionnent les campagnes d’information et de prévention, comme celle que nous avons mise en place il y a deux ans. Depuis, le nombre de cas de violence domestique rapportés a effectivement augmenté ». Et Irina Costache de conlure : « Les causes de ces violences sont tellement complexes et profondes que notre démarche doit plutôt aller dans le sens de la prévention, tout en travaillant sur la manière dont les hommes et les femmes de ce pays interagissent en famille et en société. »
Julia Beurq (décembre 2012).