Entretien réalisé au bureau de l’association Casa Mării Negre à Constanța, le mardi 22 avril dans la matinée, en roumain.
Dorin Popescu est expert en géopolitique et président du groupe de réflexion Casa Mării Negre. Ancien ambassadeur en Russie et ex-consul en Ukraine, à Tchernivtsi, il revient sur la menace russe et les enjeux liés à la sécurité en mer Noire…
La base aérienne de l’Otan de Mihail Kogălniceanu est en phase d’extension avec une nouvelle piste en construction. Le projet final a pour but d’accueillir 10 000 soldats permanents d’ici 2040. En quoi ce projet est-il stratégique pour la Roumanie ?
Je commencerai par préciser que, dans un monde turbulent comme celui que nous connaissons actuellement, la Roumanie n’a pas les capacités de se défendre seule face à une menace qui pourrait provenir d’un acteur étatique doté de moyens militaires élevés ou renforcés. De par ma connaissance des ambitions russes, je n’ai pas de doute que la Russie veuille prendre Odessa puis la Moldavie, et contrôler cette partie de la mer Noire. Certes, je ne pense pas qu’elle s’attaque à la Roumanie, pays de l’Otan, ce qui est notre garantie de sécurité et de dissuasion. Et la base de l’Otan à Mihail Kogălniceanu représente l’expression concrète de l’engagement de certains de nos partenaires à avoir une présence militaire de défense en Roumanie. Il y a aujourd’hui entre 1000 et 2000 militaires en rotation, les principales missions étant liées à la réalisation de patrouilles dans l’espace aérien roumain. Le plan, ambitieux, prévoit jusqu’à 10 000 soldats installés de manière permanente, et non plus seulement par rotation. Cela signifie leur fournir un espace d’entraînement permanent, ainsi que tous les services pour eux et leurs familles, des infrastructures routières, des hébergements, des espaces de formation et de divertissement, etc. Donc, si vous voulez, une vraie ville militaire. L’État roumain finance massivement ce projet, et il existe aussi des financements du partenaire américain et d’autres partenaires stratégiques.
Des rumeurs circulent selon lesquelles les États-Unis pourraient retirer une partie de leurs troupes en Europe. Quelles seraient les conséquences pour la Roumanie et ce type d’initiative ?
J’ai beaucoup de mal à croire qu’un tel projet, qui est un investissement stratégique pour l’Otan, ne puisse être mené qu’à moitié. Mais certains évoquent en effet le risque que les États-Unis retirent une partie de leur personnel militaire. Il y a presque 100 000 soldats américains sur le territoire européen. Il y aura peut-être des réductions significatives, mais je ne pense pas que ce sera le cas en Europe centrale et orientale. D’autres évoquent la fragilité de ces investissements, où le partenaire américain est extrêmement actif. On émet la possibilité que Washington y perde son intérêt stratégique, ainsi que pour la région méditerranéenne au sens large. Mais je ne souscris pas à ces scénarios, car cela augmenterait les dangers sécuritaires en Europe, ce qui ne bénéficierait pas aux États-Unis. J’espère cependant que les Européens pourront faire en sorte que dans cinq ou dix ans, nous construisions une sécurité et une présence militaire en lieu et place de la sécurité et présence militaire assurées actuellement par nos partenaires américains. Et je ne vois pas non plus de tragédie dans ce scénario-là. Si les Américains se retirent militairement, peut-être même d’Europe centrale et orientale, alors nous devons y stimuler la présence militaire des alliés européens.
Quel sera l’impact pour l’Otan et l’aide à l’Ukraine si George Simion devient président de la Roumanie ?
Contrairement à Călin Georgescu, George Simion a conscience de l’appartenance stratégique et de la consolidation de l’Otan ; son discours contre l’aide à l’Ukraine est hypocrite. Son succès politique s’appuie sur les peurs ou les frustrations de certains citoyens roumains, c’est sa façon d’attirer le vote. Il est hypocrite quand il parle de souverainisme, parce que l’Ukraine est importante pour la Roumanie, et pour la Moldavie où vivent des centaines de milliers de citoyens roumains. L’Ukraine maintient la menace russe à distance. Tout investissement militaire ou sécuritaire roumain en Ukraine est un investissement pour nous-mêmes ; nous avons le droit et le devoir de réfléchir, de construire, d’encourager et d’initier de futurs systèmes et garanties de sécurité. L’Ukraine empêche aussi la Moldavie d’être envahie. Que va faire la Roumanie si ce pays, auquel nous sommes attachés géographiquement, historiquement et culturellement, et où vivent des Roumains, subit une invasion russe ? Nous ne pourrions pas rester sans rien faire. De fait, la Roumanie doit dès maintenant, en plus de l’Ukraine, être au centre des discussions avec les partenaires intéressés pour la mise en place de garanties de sécurité en Moldavie.
Propos recueillis par Marine Leduc (22/04/25).