Entretien réalisé le mercredi 27 avril dans la matinée, en roumain et par viosioconférence.
Historienne, chercheuse à l’Institut d’histoire Nicolae Iorga de Bucarest, Claudia-Florentina Dobre est également présidente du Centre d’étude sur la mémoire et les identités qu’elle a créé en 2016. Nous l’avions déjà interrogée il y a un peu plus d’un an sur la période communiste en Roumanie. Elle se penche aujourd’hui sur la Russie de Vladimir Poutine…
En quel sens l’attitude du président de la Fédération de Russie Vladimir Poutine s’apparente-t-elle avec celle d’un dictateur tel que Nicolae Ceaușescu ?
On peut effectivement affirmer qu’à plusieurs égards Vladimir Poutine est aussi un dictateur, mais à la différence de Nicolae Ceaușescu, il ne se réclame pas du communisme. Ceci étant, tous les deux ont été éduqués sous un régime communiste, et Vladimir Poutine a longtemps servi le KGB, l’ancienne structure des services de renseignements soviétiques (aujourd’hui dénommée FSB, ndlr). C’est un pur produit de cette époque, il est l’archétype de « l’homme soviétique », qui est le contraire d’un démocrate. Et je ne pense pas qu’il puisse changer cette nature profonde. Autre parallèle avec Nicolae Ceaușescu, Vladimir Poutine est resté trop longtemps au pouvoir, cela fait 22 ans qu’il tient les rênes de la Russie. Ceaușescu a dirigé la Roumanie pendant 24 ans. À mon sens, se maintenir pendant tant d’années à la tête d’un système répressif vous fait perdre le contact avec la réalité. Jusqu’à la fin, Nicolae Ceaușescu croyait que le peuple roumain était derrière lui. Son cercle proche lui a aussi fait croire ça. De son côté, il est assez clair que Vladimir Poutine n’imaginait pas que la guerre en Ukraine prendrait cette tournure, cela démontre son détachement du contexte réel.
Au-delà du désir de se maintenir au pouvoir à tout prix et le plus longtemps possible, pourquoi un dirigeant choisit-il d’imposer un régime dictatorial ?
Dans le cas de la Russie, tout au long de son histoire, le pays n’a jamais connu la démocratie. Il était donc plus simple pour Poutine de continuer sur la voie de la dictature plutôt que sur celle de la démocratie. Par ailleurs, géographiquement, la Russie est le plus grand pays du monde avec des ethnies et des populations diverses, il est très difficile de le gérer. Là encore, d’une certaine façon, le régime dictatorial facilite les choses. Et que ce soit en Russie soviétique ou dans la Roumanie de Nicolae Ceaușescu, l’objectif du pouvoir a notamment été de transformer l’individu et de créer un homme nouveau entièrement dévoué à l’idéologie à l’œuvre dans son pays. En Russie, cette façon de concevoir l’homme et le citoyen reste toujours valable, en tout cas aux yeux des autorités. D’autant que cela fait plus de 75 ans que cela dure.
Si les tensions entre l’Otan et la Russie datent de plusieurs années et ont en grande partie généré la situation actuelle, d’aucuns s’interrogent sur la santé mentale de Vladimir Poutine. D’après vous, à la lumière des autres dictateurs que vous avez étudiés, y a-t-il chez eux un déséquilibre de fonds qui tendrait à expliquer des actes d’une violence extrême ?
Tout à fait. Si vous prenez les exemples d’Hitler ou de Staline, il est connu aujourd’hui qu’ils souffraient d’un déséquilibre mental profond. De la même façon, sans pour autant pousser les parallèles entre tous ces dirigeants autoritaires, Vladimir Poutine pâtit d’un déséquilibre mental qui vient de loin. Très jeune, il a toujours voulu intégrer le KGB, c’était pour lui un moyen de sortir de sa condition, une véritable promotion sociale qui allait compenser ses frustrations. Pareillement, Nicolae Ceaușescu venait d’une famille très modeste, ce qui explique ses faits, sa façon d’agir et d’être. Tout en ayant accédé à la fonction suprême, lui et sa femme Elena ont acheté des diplômes universitaires ; cela montre à quel point ils étaient complexés et emplis d’un esprit de revanche.
Propos recueillis par Olivier Jacques.
À lire ou à relire, notre premier entretien avec Claudia-Florentina Dobre (« Regard, la lettre » du 27 février 2021) : https://regard.ro/claudia-florentina-dobre