Entretien réalisé le mardi 30 janvier dans l’après-midi, par téléphone et en roumain.
Après plus d’un siècle, le trésor roumain envoyé à Moscou en 1916 continue de fasciner. Rappel des faits avec Christian Năsulea, professeur d’économie à l’université de Bucarest…
Où en est-on aujourd’hui avec les tonnes d’or appartenant à la Roumanie et envoyées en Russie en plein milieu de la Première Guerre mondiale ?
C’est très compliqué et, à vrai dire, cela a toujours été le cas depuis le moment où notre pays a décidé de confier son trésor à la Russie juste avant la révolution bolchevique de 1917. Les choses ne sont jamais vraiment prévisibles en temps de guerre. C’est ainsi que nous nous sommes retrouvés dans une situation où le droit de la Roumanie à récupérer sa réserve d’or n’a jamais été reconnu. Tout au long du siècle dernier, de nombreuses commissions ont tenté de résoudre le problème. Sans succès. Bucarest a bien obtenu de la Fédération de Russie la garantie qu’elle ferait toute la lumière sur ce qui s’est réellement passé, mais la position de Moscou a toujours été très floue. Encore aujourd’hui, nous ne savons pas où est passé l’essentiel de notre trésor. Certes, la Roumanie s’est vu restituer une petite partie du montant. La dernière fois, en 2008, elle a reçu quelques pièces de monnaie, 77 grammes sur un total de plus de 93 tonnes d’or… D’un autre côté, personnellement, ce que je trouve fascinant en tant qu’économiste est que beaucoup de Roumains restent convaincus que sans cette perte, beaucoup de problèmes de notre histoire récente auraient pu être évités. Or, selon les calculs que j’ai effectués, 93 tonnes de cet or équivaudraient aujourd’hui, au mieux, à six milliards de dollars. Les réserves d’or actuelles de la Banque nationale de Roumanie – BNR, ndlr – s’élèvent à environ 103 tonnes. Et cela représente moins de 10% de nos réserves totales.
La BNR a récemment annoncé qu’elle allait intensifier les discussions avec la partie russe et aussi organiser des événements afin de sensibiliser davantage le grand public sur cette affaire…
L’objectif est de comprendre ce qui s’est réellement passé à l’époque. Après les discussions qui ont eu lieu au cours du dernier demi-siècle, nous avons déjà dépassé deux points de blocage. Nous ne nous trouvons plus dans une situation où la Russie nierait l’existence d’un tel trésor. Pareillement, nous n’en sommes plus à l’étape où Moscou prétendait que ce trésor avait été confisqué en guise de compensation pour certains coûts assumés au bénéfice de la Roumanie pendant la Seconde Guerre mondiale. Il est aujourd’hui avéré qu’il a bel et bien existé et qu’il devrait être restitué à la Roumanie ; sauf que Moscou ne nous dit toujours pas où il se cache.
Quelles sont les chances de le retrouver ?
Compte tenu de l’évolution de la situation mais aussi des problèmes auxquels fait face la Fédération de Russie dans le contexte du conflit ukrainien, nos chances de récupérer quoi que ce soit s’amenuisent de jour en jour. Par ailleurs, il y a d’autres pays à la table des créanciers qui attendent eux aussi de récupérer des pertes imputables à la Fédération de Russie. Nous sommes en queue de peloton, à la fois compte tenu de l’état d’avancement de nos discussions avec les Russes sur le dossier, mais aussi du fait que la Fédération de Russie va devoir s’acquitter, à un moment donné, d’autres dettes conséquentes et internationalement reconnues envers d’autres pays. Malheureusement, l’espoir de se voir dédommager est assez mince.
Propos recueillis par Carmen Constantin.
À lire en complément, cet article édité sur le site de la BNR (en roumain).