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Entretien réalisé le vendredi 27 juin en milieu de journée, par téléphone et en roumain.


Directrice de l’Institut national pour la recherche et la formation culturelle (INCFC), Carmen Croitoru est spécialiste en politiques culturelles dont elle scrute avec attention les évolutions et tendances…  

La fermeture récente de la librairie indépendante « La Două Bufnițe » à Timișoara a fait beaucoup parler d’elle. Ce genre de clôture est-il courant ?

Oui, malheureusement. Ces librairies indépendantes sont nombreuses à disparaître, principalement à cause de problèmes de rentabilité. De fait, la Roumanie n’aborde pas l’industrie du livre de la meilleure façon. Le livre, les maisons d’éditions et les imprimeries s’inscrivent dans une chaîne de consommation qui commencent avec des lieux de vente et de diffusion, puis se prolongent avec les bibliothèques, ces dernières étant soutenues au niveau national. Sauf qu’entre les deux, il n’y a pas de véritable logique, de processus bien établis. Les bibliothèques bénéficient certes d’une loi spéciale, mais elles ne dialoguent pas avec le reste de la chaîne de production et de diffusion. À l’INCFC, outre le fait de sortir des statistiques sur les pratiques culturelles, nous plaidons aussi pour davantage d’uniformisation. Nous avons identifié 582 librairies actives dans le pays, dont 90% se trouvent dans les grandes villes. Une partie ne fait que du livre, les autres ont des activités mixtes ; ces dernières résistent mieux. Mais de façon générale, le secteur souffre, notamment à cause des achats en ligne et du temps passé sur les écrans.

Dans le cadre de votre baromètre 2022, il était évoqué une baisse de la fréquentation des théâtres et des cinémas. Les autorités, elles, mettent en avant la hausse des événements culturels organisés dans le pays…

Évidemment, pendant une année électorale, l’offre culturelle explose. Sauf que cette dernière n’est pas du tout qualitative, il s’agit surtout d’événements gratuits sans grande valeur, des fêtes en plein air qui, au passage, coûtent cher. Cela ne devrait même pas être financé par de l’argent public. La création exigeante se fait rare car elle dépend surtout de financements publics modiques. Et personne n’en favorise l’essor d’un point de vue réglementaire vu que les créations de qualité sont moins quantifiables. Il est plus aisé de miser sur le divertissement que sur l’intellectuel. De fait, dans la culture roumaine, il y a toujours une grande confusion entre ce qui relève du divertissement et la culture. Nous pâtissons cruellement d’un manque d’éducation culturelle, ce qui se reflète dans les chiffres de la consommation culturelle. Et cela génère un cercle vicieux ; les Roumains ont pris en grippe les projets exigeants soutenus par l’État. Ils s’imaginent que cela coûte beaucoup d’argent, alors qu’en réalité, le secteur est vraiment sous financé.

Sentez-vous les prémices d’une prise de conscience de la part des autorités afin d’encourager un « soft power » roumain, autrement dit une culture générant des bénéfices à plusieurs niveaux, politique, économique, etc. ?

On le mentionne, mais cela demeure déclaratif et n’est pas traduit en vision politique. Nous avons pourtant deux exemples très positifs qui montrent que le potentiel existe, et que des villes se dynamisent grâce à la culture : Sibiu et Timişoara – les deux ont été capitales européennes de la culture en 2007 et 2023 respectivement, ndlr. La culture et les industries créatives sont facteurs de prospérité économique et permettent de donner une identité à un lieu, ces deux villes en sont la preuve. Le problème est que personne ne prend la peine de l’admettre et de mettre en place une vision au niveau des politiques locales. C’est même l’inverse qui se produit ; les décideurs locaux ne comprennent pas pourquoi on leur impose parfois certaines initiatives, pourtant nécessaires, mais dont ils ne perçoivent pas l’intérêt. Au lieu de cela, nous avons une explosion de festivals qui révèle davantage, là encore, un effort marketing vers le divertissement et un gaspillage d’énergie. Cela crée une distorsion dans la tête du consommateur qui ne sait plus ce qui est culturel et ce qui ne l’est pas. Certains festivals sont excellents, bien sûr, mais pas tous, loin de là. Il n’y a pas vraiment de gestion culturelle ; au lieu de se différencier, la plupart de ces rendez-vous se copient.

Propos recueillis par Benjamin Ribout (27/06/25).

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