Entretien réalisé le mardi 21 novembre en fin de matinée, par téléphone et en roumain (depuis la Forêt-Noire située au sud-ouest de l’Allemagne).
Autrichienne, Barbara Promberger vit en Roumanie depuis près de trente ans. Venue au départ pour observer les populations d’animaux sauvages (loups, ours et lynx), elle a co-fondé la Fondation Carpathia qui vient de publier les résultats d’une étude génétique sur les populations de loups dans les Carpates méridionales…
Y avait-il davantage de loups quand vous êtes arrivée en Roumanie ?
Lorsque je suis venue la première fois en Roumanie, les loups étaient pratiquement inconnus en Europe occidentale. Il n’y en avait qu’en Russie et dans les pays de l’Est. C’est ce qui me fascinait, et c’est pour cela que j’ai étudié pendant une année entière leur comportement dans les montagnes roumaines. Personne ne sait s’ils sont plus ou moins nombreux aujourd’hui, car toutes les évaluations se basent sur l’observation de la nature sauvage, cela n’a rien de scientifique. En général, ce sont les chasseurs qui communiquent aux autorités le nombre de loups qu’ils observent dans leur région. Certains sont très précis et arpentent les forêts à la recherche de traces. Mais, dans de nombreux cas, ils se contentent de déclarer les chiffres de l’année précédente. C’est un problème en soi, les chasseurs ne s’intéressent pas vraiment aux loups vu qu’ils ne peuvent pas les chasser – le loup est une espèce protégée, ndlr. Ils les perçoivent plutôt comme des prédateurs concurrents. Quoi qu’il en soit, leurs estimations n’ont aucune base scientifique. Aujourd’hui, les évaluations nationales avancent le chiffre d’environ 3000 loups sur l’ensemble du pays, chiffre qui n’a pas beaucoup varié au cours des vingt à trente dernières années.
Pourquoi avoir décidé de réaliser cette étude maintenant ?
En Allemagne ou en France, lorsque les loups ont été récemment réintroduits, il y a eu beaucoup de recherches. En Roumanie, cela n’a jamais été le cas, à part ce à quoi j’avais participé dans les années 1990 dans le cadre de mon master. Il y a eu très peu d’études. Nous avons donc travaillé sur un territoire de 1400 km2 dans les Carpates méridionales, à cheval entre les massifs de Făgăraș, Piatra Craiului et Leaota. L’idée était d’établir l’identité des individus sur la base d’une enquête génétique afin d’observer la densité des loups. Nous avons ainsi identifié 48 individus uniques, 27 mâles, 20 femelles, ainsi qu’un hybride loup-chien. Cela nous donne une densité d’environ 2,3 loups pour 100 km2. Ce qui n’est ni extraordinaire ni faible par rapport à d’autres pays. Mais je m’attendais à ce que la population soit un peu plus nombreuse ; j’espère qu’elle augmentera. En Roumanie, l’équilibre entre prédateurs et proies est meilleur qu’en Europe de l’ouest. L’avantage est qu’il y a encore de très vastes espaces de montagnes préservés qui demeurent un excellent habitat pour la faune. Je pense notamment aux montagnes Făgăraş qui comprennent plus de 200 000 hectares de forêts et de pâturages alpins sans clôtures et sans routes, cela offre donc aux animaux sauvages la liberté de se déplacer. C’est très précieux, surtout pour des espèces qui bougent beaucoup comme les loups.
Comment appréhender la présence de ce cas « hybride » que vous avez relevé ?
Il s’agit d’une première en Roumanie. Les médias roumains en ont fait grand cas, ce que je comprends d’une certaine manière, même si d’après moi, cela a certainement dû exister par le passé. C’est rare, mais il y a déjà eu des exemples en Italie et en Espagne. En général, les loups mangent les chiens, il s’est donc passé quelque chose dans un lieu où il y avait beaucoup de chiens sans maître, lesquels sont entrés en contact avec des loups de passage. Bien sûr, c’est à prendre au sérieux, car cela peut altérer l’espèce génétiquement. De plus, un chien est habitué aux êtres humains, son comportement est différent de celui d’un loup. Un animal hybride pourrait être tenté de se rapprocher des hommes et créer des problèmes. Sans compter qu’il n’y a pas de plan européen concernant ces populations hybrides. Que fait-on avec ces individus hybrides ? Sont-elles protégées ? Peut-on les abattre ?… Plusieurs questions se posent, d’autant qu’il est sans doute difficile de les différencier. Ces aspects sont également à éclaircir au vu du problème des chiens errants. L’étude que nous avons effectuée constitue un premier jalon, nous allons continuer à observer les loups sur l’ensemble du pays. Ce qui est nécessaire, car ces populations vont se confronter à de gros changements et il va falloir les aider. Je fais référence aux changements climatiques et aux autoroutes, entre autres, mais aussi au tourisme et aux coupes dans les forêts qui ont un impact sur leur habitat et leur comportement. Connaître ces populations nous permettra ensuite de mettre en place des lieux protégés où elles pourront se retirer.
Propos recueillis par Benjamin Ribout.