Entretien avec Alexandru Fifea, dramaturge, comédien et producteur. Il a initié Kathe Akana! (« Ici et maintenant ! », en langue romani), le premier festival international de théâtre rom de Roumanie, qui a eu lieu du 31 août au 6 septembre dernier…
Dans quel but avez-vous créé un festival international de théâtre rom ?
Pour plusieurs raisons. D’abord parce qu’il existe des comédiens roms et du théâtre rom, comme la compagnie féministe Giuvlipen en Roumanie, qui produit beaucoup. Les réalités roms se reflètent notamment dans ces créations théâtrales. Mais surtout, l’idée était de montrer d’autres arts roms que la musique. Nous faisons partie d’un réseau européen de théâtre rom, et vu le nombre de nos créations, il m’a paru nécessaire de lancer un festival ici, à Bucarest, sur le modèle du Roma Heroes Festival organisé par nos partenaires de l’Independent Theater Hungary depuis 2017. Et pour une première édition, nous sommes plutôt satisfaits ; pendant toute une semaine, nous avons présenté dix productions venant de Roumanie, de Hongrie, d’Autriche, de Slovaquie, d’Ukraine et d’Allemagne.
Que cela vous apporte-t-il de travailler avec des compagnies roms de toute l’Europe ?
L’idée de base est que nous avons un héritage en commun, et que nous faisons tous du théâtre rom. On voit d’ailleurs de plus en plus de compagnies roms sur l’ensemble du continent européen. À travers notre théâtre, on construit une réalité transnationale, qui est fondamentalement rom. Cela confère une sorte d’unité. D’ailleurs, cette connexion transnationale est spécifique aux Roms ; ils ont quitté le nord de l’Inde il y a mille ans et de là, ils ont eu un parcours qui va de l’Europe jusqu’au continent américain. Je dirais même qu’aujourd’hui, les Roms sont parmi ceux qui donnent un certain sens d’unité à l’Europe actuelle.
Vous faites partie d’un groupe de comédiens qui souhaite créer un théâtre national rom, comme il en existe pour les autres minorités, juive, hongroise ou allemande. Pourquoi ?
D’abord, afin de montrer les nombreuses productions qui existent et en créer de nouvelles. On dénombre près de deux millions de Roms en Roumanie, il y a donc une variété de sujets et de situations à traiter. D’autant que le théâtre rom provient de la scène indépendante, ses créations sont assez politiques et très ancrées dans les réalités. Et puis le théâtre, selon moi, peut changer les mentalités. C’est un très bon véhicule pour adresser les problèmes et les tabous de la société. Concernant les Roms, il s’agit notamment de dénoncer le racisme prédominant, qu’il soit institutionnel ou d’autres natures. Le théâtre va plus loin que les titres de presse sensationnalistes. Il peut répondre à des questions plus essentielles… Comment vivent-ils chez eux ? Pourquoi ont-ils fait ça ? D’où viennent-ils ? Que veulent-ils ? Personnellement, c’est ce que je veux montrer dans mes pièces de théâtre, l’histoire des Roms et leur situation actuelle. Il faut certes continuer l’effort social, mais la culture aussi est importante. Nous réalisons un travail culturel avec une dimension sociale qui permet de construire quelque chose.
Propos recueillis par Marine Leduc.