Entretien réalisé le lundi 15 avril dans l’après-midi au bord de la Dâmbovița à Bucarest, vers Timpuri Noi, en roumain.
Alexandra Tomescu travaille sur les questions d’éducation à l’environnement. Récemment, l’un de ses projets avec l’ONG Mai Mult Verde l’a amené à documenter l’état de pollution de la rivière Argeș…
Comment avez-vous procédé pour ce travail de terrain le long d’une rivière importante de Roumanie ?
Nos recherches sur la rivière Argeș ont duré deux mois. Nous nous sommes rendus dans onze localités, des villes mais aussi des communes et des villages. Au-delà de notre enquête sur les bords de la rivière, nous avons aussi interrogé les habitants, les autorités et les petits entrepreneurs sur les problèmes de pollution. Celle-ci a plusieurs origines. Une partie provient de personnes qui passent un moment en nature et laissent leurs plastiques, cartons, etc. Mais il y a surtout la collecte des déchets en charrette laissés ensuite à l’abandon dans différents lieux de façon tout à fait illégale ; cela revient moins cher que de les emmener dans une vraie décharge. D’autant que dans certains villages, le ramassage des poubelles ne se fait qu’une fois par semaine, et de manière souvent peu soignée. Les municipalités elles-mêmes préfèrent déverser les déchets n’importe comment dans la nature en se disant que ça ne se verra pas, et que l’eau les emmènera plus loin. Citoyens, autorités… C’est comme si l’homme en général était devenu indifférent à l’égard de la nature. Pour lui, en tout cas dans les zones que nous avons parcourues, sa maison se résume à l’intérieur de son logis, seul endroit qu’il devrait garder propre.
Le plastique n’est pas l’unique source de pollution…
Non, à côté du plastique qui est emporté par l’eau puis se transforme en microparticules avant de finir dans la mer Noire, il y a également beaucoup d’aluminium, du verre, des canettes de bière, ainsi que des huiles et des détergents très nocifs. Tout ce qui est huiles, pétrole, insecticides, chlore, détergents va polluer la flore et la faune ; ces substances se fixent directement à l’endroit où on les a déversées. Et il y a beaucoup de déchets animaux, toutes sortes d’oiseaux qui sont abattus et jetés à l’eau, des chats, des chiens, des porcelets… Sans parler des matériaux de construction, des morceaux de ciment, de la tôle, de la mousse polystyrène utilisée pour étanchéifier les fenêtres. Tout cela est mis dans des sacs et finit au bord des rivières ou directement dans l’eau. Mais plus qu’au bord des rivières, nous avons surtout observé des quantités de déchets très importantes en périphérie des villes, là où il y a le plus d’habitants. En milieu rural et en dehors des villages, il y a encore des lieux relativement propres, notamment parce qu’ils sont plus difficiles d’accès. Et puis de façon générale, les ruraux ont quand même un style de vie naturellement plus durable parce qu’ils ont peu de moyens. Ils essayent notamment de réutiliser une partie de leurs déchets ; ils se servent plusieurs fois des bouteilles en plastique en y mettant du lait, du vin ou de l’eau de vie. Et ils les conservent aussi pour arroser les fleurs ou leur potager. Surtout, ils ont conscience qu’ils doivent faire attention à ne pas polluer car ils cultivent et ont besoin d’un sol et d’une eau propres.
Quelles sont les conséquences sur les milieux naturels ?
Une étude récente de Mai mult verde a établi que chaque jour, 100 tonnes de déchets, et pas uniquement du plastique, finissent dans le Danube durant le trajet que celui-ci effectue en Roumanie. 100 tonnes… C’est vraiment beaucoup. Les conséquences sont multiples. Le plastique notamment intoxique toute une chaîne animale qui contribue au bon fonctionnement des écosystèmes. Prenez les oiseaux, ils se nourrissent de ce qu’ils trouvent dans l’eau et confondent souvent les mégots de cigarettes avec des petits vers. Cela bloque leur système digestif et leurs voies respiratoires, ils finissent par en mourir. Et avec moins d’aigrettes ou de canards, les insectes vont pulluler. Plus grave, le fait que les poissons, avant de se retrouver dans notre assiette, ingurgitent des microparticules de plastique qui sont vraiment dangereuses. Par ailleurs, parallèlement à ces séquences nocives, le taux de microparticules de plastique n’est pas testé dans nos stations d’épuration. Pourtant, c’est cette eau qui arrive dans nos maisons. D’après moi, les microparticules de plastique ont un impact certain sur la manière dont nos métabolismes ont évolué ces dernières années et sont à l’origine de certaines maladies, ou bien participent à leur développement. Le problème n’est pas tant le plastique en lui-même que le consumérisme, il n’y a plus de limites. Il faudrait mieux informer les gens, ils ne se rendent pas suffisamment compte de l’impact négatif de jeter un emballage, que ce soit au bord d’une rivière ou dans la rue. Malheureusement, ce ne sont pas des choses que l’école nous apprend. Sans parler de l’énorme déficit en politiques publiques afin aussi de rendre les entreprises responsables de ces dérives. L’eau est tout simplement irremplaçable, elle est dans tout, et elle est de plus en plus rare. Certes, les associations qui se penchent sur ces questions sont plus nombreuses qu’avant, et les gens font davantage entendre leur voix, de manière générale. Mais c’est à peu près tout.
Propos recueillis par Benjamin Ribout.
Note : À voir, l’enquête de Recorder sur la mafia des déchets dans la région de Prahova, par Alex Nedea (17/04/2024 – 30 minutes) : https://www.youtube.com/watch?v=WHgwT-F05J4