Entretien réalisé le mercredi 24 avril dans l’après-midi, par téléphone et en roumain.
À Bucarest, les élections locales qui auront lieu en juin provoquent déjà quelques remous. Maître de conférences à la Faculté de sciences politiques de l’université de Bucarest, la politologue Raluca Alexandrescu décrypte le contexte actuel et revient sur les sensibilités de l’électorat bucarestois…
La lutte pour la mairie générale de Bucarest a pris une tournure inattendue après le remplacement du prétendant unique de l’alliance PSD-PNL au profit de deux autres candidats, en l’occurrence Gabriela Firea pour le PSD, l’ancienne maire de la ville, et Sebastian Burduja pour le PNL. D’après vous, qui part favori ?
La coalition au pouvoir a fait des choix extrêmement malheureux. De fait, dès que le nom de Cătălin Cîrstoiu a été rendu public, les problèmes ont commencé à poindre. Et cela a éveillé les sensibilités d’un électorat qui semblait pourtant plutôt indifférent aux questions électorales, notamment lorsqu’il s’agit d’élections locales. Cătălin Cîrstoiu est un médecin accusé d’exercer certaines activités incompatibles avec son poste dans un hôpital public, un personnage assimilé à une caste ayant donné du fil à retordre à de nombreux Roumains dans leur relation avec le milieu hospitalier. Conséquence, chacun des deux partis fera cavalier seul, en principe. Ce qui doit réjouir la nouvelle candidate du PSD, Gabriela Firea, qui exprimait il n’y a pas si longtemps sa déception quant au choix d’un candidat unique. Mais il est encore difficile de prévoir qui aura les faveurs du scrutin. Et je ne ferais pas grand cas des sondages réalisés ces derniers temps. Avant l’éviction de Cătălin Cîrstoiu, Nicușor Dan – le maire actuel, ndlr – était tantôt en première position, tantôt deuxième à faible distance derrière un autre candidat, le controversé Cristian Popescu Piedone*. Aujourd’hui, d’après nos estimations, Gabriela Firea semble revenir sur le devant de la scène et pourrait grignoter une partie des voix que le PSD, mécontent de l’alliance avec le PNL, comptait attribuer à Popescu Piedone. De la même façon, une partie de l’électorat du PNL n’était pas satisfaite de l’alliance avec le PSD et du choix d’un candidat unique. Sans pour autant envisager de soutenir Nicușor Dan – candidat indépendant soutenu par l’alliance Droite unie, ndlr. Ces dernières années, le PNL a trop œuvré à décrédibiliser le maire actuel. Quant au nouveau candidat du PNL, Sebastian Burduja, il ne me semble pas avoir beaucoup d’atouts ; il n’est guère connu ni convaincant, même s’il s’est déjà présenté à des élections législatives par le passé. Bref, tout cela est bien compliqué… Il y a trois favoris pour une élection à un seul tour.
* En 2022, Cristian Popescu Piedone, alors maire du secteur 4 de Bucarest, a été condamné à quatre ans de prison ferme pour abus de pouvoir suite à l’incendie du club Colectiv en octobre 2015.
Cela marque-t-il également une rupture au sein de la coalition dans les arrondissements de la capitale ?
Je ne pense pas que la dynamique des six arrondissements que comptent Bucarest soit nécessairement liée à celle de la municipalité générale. Notamment parce que les quatre dernières années ont contribué à ce que l’identité du maire de la ville soit assez distincte des maires d’arrondissement.
Y a-t-il des arrondissements où vous pensez que le maire pourrait changer ?
Oui, comme partout ailleurs, des changements sont à prévoir dans les arrondissements où le bilan du maire actuel n’aura guère suscité l’enthousiasme. C’est le cas dans le secteur 1, par exemple, à la condition qu’un autre candidat parvienne à convaincre. En fait, dans les arrondissements, le choix de tel ou tel candidat se fait davantage sur des réalisations ou des promesses très concrètes, l’enjeu est en quelque sorte moins politique que pour la mairie générale. Pour conclure, si vous le permettez, je souhaiterais terminer sur l’évolution générale de la ville ces quatre dernières années… Je trouve que Bucarest s’est beaucoup améliorée. Son administration fut problématique entre 2016-2020, et avant aussi. À partir de 2020, il a donc fallu déployer les grands moyens pour éviter la faillite. C’est probablement à cause de tous ces efforts que les fruits des politiques publiques déployées par l’administration courante ne sont devenus visibles que beaucoup plus tard. Dans les transports surtout, je pense que l’on a fait des progrès, ainsi que dans la propreté, la rénovation et la préservation du patrimoine. Le talon d’Achille reste le chauffage dans les grands immeubles et quartiers construits dans les années 1960-1990, où l’on n’a presque rien fait en la matière des décennies entières ; les choses avancent lentement, ce qui provoque naturellement le mécontentement des habitants. Mais Bucarest a trop longtemps été mal aimée. En tant que maire, il faut savoir l’apprécier, la valoriser, et mobiliser ses habitants. J’espère que les Bucarestois auront la sagesse d’élire la personne qui peut et veut réellement s’en occuper.
Propos recueillis par Carmen Constantin.
Note :
Depuis que l’alliance PSD-PNL a décidé de renoncer à une candidature commune pour la mairie générale de Bucarest, un sondage de l’institut ARA Public Opinion sorti il y a deux jours donne le maire sortant Nicușor Dan en tête avec 37% des intentions de vote. Il est suivi par Cristian Popescu Piedone (Parti humaniste social-libéral, PUSL) avec 28%, Gabriela Firea (PSD) avec 23%, Sebastian Burduja (PNL) avec 9%, et Marian Enache (AUR) avec 3%.