Entretien réalisé le mardi 31 octobre en fin d’après-midi, par téléphone et en roumain.
Sociologue et chercheur au Centre national de culture des Roms, Adrian-Nicolae Furtună rappelle une page tragique de l’histoire de la Roumanie : la déportation de dizaines de milliers de Roms en Transnistrie sous le régime du maréchal Ion Antonescu…
En quoi a consisté l’Holocauste des Roms ?
L’Holocauste des Roms de Roumanie a représenté une deuxième page noire de leur histoire, après l’esclavage. Près de 25 000 Roms, dont près de la moitié était des enfants, ont été déportés en Transnistrie sous le gouvernement du maréchal Antonescu (1940-1944, ndlr) : 11 441 Roms nomades, soit l’ensemble de la population nomade de Roumanie, et 13 176 Roms sédentaires, notamment ceux ayant un casier judiciaire, ou qui étaient sans emploi. Cela représentait environ 10% de la population rom vivant en Roumanie en 1942, selon le recensement de 1930. Lors de ces déportations, environ 11 000 sont morts de typhus, famine et travaux forcés. Elles ont notamment visé les Roms considérés par les autorités de l’époque comme « non utiles à la société », ou bien « indésirables », des termes qui relèvent d’une politique eugéniste. Or, cet aspect crucial a jusqu’ici été négligé par l’historiographie roumaine. La déportation des Roms a souvent été considérée comme une mesure sociale, et non pas raciale. Pourtant, des documents d’archives que j’ai publiés en 2022 dans une étude réalisée avec le chercheur Marius Turda, professeur à l’Université Oxford Brookes, témoignent précisément du projet du gouvernement Antonescu d’interdire les mariages entre Roms et Roumains de souche, tout comme de la réticence des autorités à octroyer aux « Tsiganes », selon le terme qu’elles utilisaient, des « certificats d’origine ethnique roumaine », indispensables afin de développer n’importe quelle activité. On ne peut donc pas comprendre ni expliquer l’Holocauste des Roms sans prendre en considération cet eugénisme.
Les Roms ne parlent pas beaucoup de cette tragédie, pourquoi ?
Les critères appliqués en vue de la déportation ont en effet créé une rupture dans le mental collectif ; les déportés étaient souvent blâmés, comme s’ils l’avaient mérité. Toutefois, une distinction existe. Les survivants issus de la population nomade disent qu’ils ont été déportés, tous, sans exception parce qu’ils étaient roms ; tandis que parmi les Roms sédentaires, on entendra plutôt des histoires faisant état d’un membre de la communauté ayant commis un méfait, ce qui a entraîné la déportation de toute sa famille. Ceci étant, les survivants sont en général vénérés et vus comme des gardiens de la mémoire et de l’histoire. Car il faut le souligner, jusqu’à très récemment, à l’école, les Roms n’ont pas eu accès à leur propre histoire.
Justement, cela a-t-il changé ?
La langue et l’histoire des Roms sont aujourd’hui enseignées dans la plupart des communautés roms et, à partir de cette année, l’histoire de l’Holocauste, avec des références aux Roms, sera introduite au lycée. Mais les manuels d’histoire au collège ne contiennent qu’une étude de cas sur l’Holocauste qui évoque brièvement les Roms. C’est très peu, à mon avis. Nous devrions présenter aux jeunes une histoire réelle, comparative, qui les aide à porter un regard critique sur cette période.
Propos recueillis par Mihaela Rodina.